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EXTRAIT D'UN JOURNAL

(25 décembre 1688.) La reine d'Angleterre vint de Calais à Boulogne, où elle attendit des nouvelles du roi son mari, résolue, dit-elle, s'il est arrêté, de repasser en Angleterre pour aller souffrir le martyre avec lui [1].

(31 décembre.) Le roi commença la cérémonie des chevaliers de l'ordre, parce qu'il en avait trop à faire, et que cela aurait duré six ou sept heures de suite. M. le comte d'Aubigné [2] fut fait chevalier à cette promotion, qui était de soixante et quatorze.

(6 janvier 1689.) Le roi, après son dîner, partit de Versailles avec Monseigneur et Monsieur, et vint jusqu'auprès du château où il attendit la reine d'Angleterre. Dès qu'on vit paraître les carrosses, le roi, Monseigneur, et Monsieur, mirent pied à terre : le roi fit arrêter le carrosse qui marchait devant celui de la reine où était le prince de Galles, et l'embrassa. Pendant ce temps-là la reine d'Angleterre descendit de carrosse, et fit au roi un compliment plein de reconnaissance ; le roi répondit qu'il lui rendait un triste service dans cette occasion, mais qu'il espérait être en état de lui en rendre de plus agréables dans la suite [3]. Le roi avait avec lui ses gardes, ses mousquetaires et ses chevau-légers, et tous les courtisans l'avaient accompagné. Le roi remonta en carrosse avec la reine. Monseigneur, et Monsieur ; ils descendirent au château de Saint-Germain, où l'on trouva toutes les commodités imaginables. Tourelle, tapissier du roi, donna à la reine la clef d'un petit coffre où il y avait six mille pistoles.

(12 janvier.) Le roi dit qu'il voulait qu'on rendit plus de respect au roi d'Angleterre malheureux que s'il était dans la prospérité [4].

M. de Croissy a reçu des nouvelles d'Angleterre. Les lords assemblés à Londres proposent de faire faire le procès au roi leur maître sur quatre chefs [5] : sur la mort du roi son frère, où ils prétendent qu'il a contribué ; sur la mort du comte d'Essex, qui s'égorgea dans sa prison ; sur la supposition du prince de Galles, et sur un traité d'alliance secrète avec la France. Il paraît, par cette mauvaise volonté, que le roi d'Angleterre a bien fait de venir en France.

(17 janvier.) Le roi d'Angleterre a été à Paris voir les grandes Carmélites, et a demandé la mère Agnès, parce que c'est la première personne qui lui a parlé pour le faire changer de religion [6].

  1. Le martyre ! Vous n'y pensez pas.
  2. C'était le frère de Mme de Maintenon : aussi l'auteur ne parle que de lui.
  3. Cela est vrai mot à mot.
  4. Cela est vrai, et voilà de la véritable grandeur.
  5. Cela n'est pas vrai ; jamais on ne fit ces propositions. Seulement le parti criait que le prince de Galles était supposé.
  6. La mère Agnès lui rendit, comme on sait, un grand service pour l'autre monde, et fort mauvais pour celui-ci.