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subsiste que par la sueur de mon front ou par celle de mes fermiers, ne prétende plus être mon maître, et un maître méchant ; je le paye pour enseigner la morale, pour donner l’exemple de la douceur, et non pour être un tyran.

Tout prêtre est dans ce cas ; le pape lui-même n’a des officiers, des valets, et des gardes, qu’aux dépens de ceux qui cultivent la terre, et qui sont nés ses égaux. Il n’y a personne qui ne sente que le pouvoir du pape est uniquement fondé sur des préjugés. Qu’il n’en abuse plus, et qu’il tremble que ces préjugés ne se dissipent[1].


FIN DE DIEU ET LES HOMMES.


  1. En 1770, le pape écrivit au roi de France une lettre excitatoire pour le conjurer par les entrailles de Jésus-Christ de préserver son royaume de la pernicieuse inondation des livres impies. L’assemblée du clergé, qui venait de se réunir, porta également au pied du trône un Mémoire sur les suites funestes de la liberté de penser et d’imprimer ; puis, six mois après, au moment de se séparer, ladite assemblée renouvela son vœu dans un Avertissement aux fidèles sur les dangers de l’incrédulité. En conséquence, le gouvernement recommanda au parlement de Paris de sévir contre les livres antireligieux, et, le 18 août, l’avocat général Séguier ayant requis contre sept ouvrages et ayant obtenu leur condamnation, le Palais fit les frais d’un fagot, et l’on brûla en cérémonie, au bas du grand escalier, par la main du bourreau, quelques paperasses de procureur qui figurèrent les œuvres condamnées. Parmi ces œuvres était nommé Dieu et les Hommes.

    Il y avait près d’un an que ce livre avait paru, et il avait paru comme les autres, hors de France et à titre de traduction. On soupçonnait bien que Voltaire en était l’auteur, mais Voltaire ne s’était pas nommé, et il avait eu l’adresse de jeter çà et là quelques idées qui n’étaient pas tout à fait à sa couleur.

    Cependant les philosophes ayant décidé, en réponse aux criailleries du clergé, qu’ils élèveraient par souscription une statue à leur patriarche, le gouvernement n’hésita pas à poursuivre l’œuvre du prétendu docteur Obern comme étant bien de la main de Voltaire, afin d’embarrasser les encyclopédistes dans leur projet d’apothéose. Le plus embarrassé toutefois en cette affaire fut l’avocat général lui-même : car non-seulement messieurs du parlement ne lui surent aucun gré de son réquisitoire, où il leur semblait qu’il avait reproduit par malice les arguments les plus forts des incrédules, mais les incrédules eux-mêmes se vengèrent des poursuites de l’avocat en le flétrissant en face dans une séance publique de l’Académie française, dont il était membre. La république des lettrés ne pouvait admettre en effet qu’un des leurs eût la liberté de requérir contre les œuvres d’un de ses confrères. (G. A.)