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CHAPITRE XLI.

C’est précisément la vie d’un fakir, d’un talapoin, d’un santon, d’un marabout. Le pape de Rome, au contraire, est logé à Rome dans les palais des empereurs. Il possède environ huit à neuf cent mille livres sterling de revenu quand ses finances sont bien administrées. Il est humblement souverain absolu ; il est serviteur des serviteurs, et en cette qualité il a déposé des rois, et donné presque tous les royaumes de la chrétienté ; il a même encore un roi[1] pour vassal, à la honte du trône.

Passons du pape aux évêques. Ils ont tous imité le pape autant qu’ils ont pu. Ils se sont arrogé partout les droits régaliens ; ils sont souverains en Allemagne, et parmi nous barons du royaume. Aucun évêque ne prend, à la vérité, le titre de serviteur des serviteurs ; au contraire, presque tous les évêques papistes s’intitulent évêques par la permission du serviteur des serviteurs ; mais tous ont affecté la puissance souveraine. Il ne s’en est pas trouvé parmi eux un seul qui n’ait voulu écraser l’autorité séculière et la magistrature. Ce sont eux-mêmes qui apprirent aux papes à détrôner les rois ; les évêques de France avaient déposé Louis, fils de Charlemagne, longtemps avant que Grégoire VII fût assez insolent pour déposer l’empereur Henri IV.

Des évêques espagnols déposèrent leur roi Henri IV l’impuissant : ils prétendirent qu’un homme dans cet état n’était pas digne de régner. Il faut que le nom de Henri IV soit bien malheureux, puisque le Henri IV de France, qui était très-digne de régner par une raison contraire, fut pourtant déclaré incapable du trône par les trois quarts des évêques du royaume, par la Sorbonne, par les moines, ainsi que par les papes.

Ces exécrables momeries sont aujourd’hui regardées avec autant de mépris que d’horreur par toutes les nations ; mais elles ont été révérées pendant plus de dix siècles, et les chrétiens ont été traités partout comme des bêtes de somme par les évêques. Aujourd’hui même encore, dans les malheureux pays papistes, les évêques se mêlent despotiquement de la cuisine des particuliers ; ils leur font manger ce qu’ils veulent dans certains temps de l’année[2] ; ils font plus : ils suspendent à leur gré la culture de la terre[3]. Ils ordonnent aux nourriciers du genre humain de ne point labourer, de ne point semer, de ne point recueillir certains jours de l’année ; et ils poussent dans quelques occasions la

  1. Le roi de Naples ; voyez tome XXVII, page 383, et, ci-après, la note de Voltaire sur l’article du 26 septembre 1686 du Journal ou Mémoires de Dangeau.
  2. Voyez, ci-après, la Requête à tous les magistrats, première partie.
  3. Voyez ibid., seconde partie.