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DISCOURS

ne dit pas que l’abîme ait été produit par Dieu ; il garde le même silence sur l’eau et sur les ténèbres ; mais pourquoi, ayant écrit que la lumière avait été produite par Dieu, ne s’est-il pas expliqué de même sur les ténèbres, sur l’eau, et sur l’abîme[1] ? Au contraire, il paraît les regarder comme des êtres préexistants, et ne fait aucune mention de leur création. De même il ne dit pas un mot des anges ; dans toute la relation de la création il n’en est fait aucune mention. On ne peut rien apprendre qui nous instruise, quand, comment, de quelle manière, et pourquoi ils ont été créés. Moïse parle cependant amplement de la formation de tous les êtres corporels qui sont contenus dans le ciel et sur la terre ; en sorte qu’il semble que cet Hébreu ait cru que Dieu n’avait créé aucun être incorporel, mais qu’il avait seulement arrangé la matière qui lui était assujettie. Cela paraît évident par ce qu’il dit de la terre : « Et la terre était vide et sans forme. » On comprend aisément que Moïse a voulu dire que la matière était une substance humide, informe et éternelle, qui avait été arrangée par Dieu[2].

Comparons la différence des raisons pour lesquelles le Dieu de Platon et le Dieu de Moïse crée le monde. Dieu dit, selon Moïse : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance, pour qu’il domine sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, et sur les bêtes, et sur toute la terre, et sur les reptiles qui rampent sur la terre. Et Dieu fit l’homme à son image, et il les créa mâle et femelle, et il leur dit : Croissez, multipliez, remplissez la terre ; commandez aux poissons de la mer, aux volatiles des cieux, à toutes les bêtes, à tous les bestiaux, et à toute la terre. »

Entendons actuellement parler le Créateur de l’univers par la bouche de Platon[3]. Voyons les discours que lui prête ce philo-

  1. Il s’en faut beaucoup que Julien se serve ici de ses avantages. La physique était, de son temps, moins avancée encore que la critique en histoire. Plus la nature a été connue, plus la genèse hébraïque est devenue ridicule. Qu’est-ce que séparer les ténèbres de la lumière ? Qu’est-ce qu’un firmament au milieu des eaux, et toutes les autres absurdités grossières dont ce livre fourmille ? (Note de Voltaire.)
  2. Il est évident en effet que la Genèse suppose que Dieu arrangea la matière, et ne la créa pas : car le mot hébreu répond au mot grec έποίηςε que les sculpteurs mettaient au bas de leurs ouvrages ; fecit, sculpsit. Et, par une absurdité digne des Juifs, il y a dans le texte les dieux fit le ciel et la terre. Fit en cette place est pour firent ; c’est un trope très-commun chez les Grecs. (Id.)
  3. Avouons avec Cicéron que ce morceau de Platon est sublime, et qu’il demande grâce pour le galimatias dont il a inondé ses ouvrages. Quoi de plus beau que le grand Être créant des êtres immortels comme lui, qui sont ses ministres,