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CHRÉTIENS PLATONICIENS.

y avait alors beaucoup plus de Juifs en Égypte qu’on ne peut en supposer du temps des pharaons. Ils avaient même un très-beau temple dans Bubuste, quoique leurs lois défendissent de sacrifier ailleurs qu’à Jérusalem. Ces Juifs parlaient tous grec, et c’est pourquoi les Évangiles furent écrits en grec. Les Juifs grecs étaient détestés de ceux de Jérusalem, qui les maudissaient pour avoir traduit leur Bible, et qui expiaient tous les ans ce sacrilége par une fête lugubre.

Il ne fut donc pas difficile aux sectateurs de Jésus d’attirer à eux quelques-uns de leurs frères d’Alexandrie et des autres villes, qui haïssaient les Juifs de Judée : ils se joignirent surtout à ceux qui avaient embrassé la doctrine de Platon. C’est là le grand nœud et le premier développement du christianisme ; c’est là que commence réellement cette religion. Il y eut dans Alexandrie une école publique de christianisme platonicien, une chaire où Marc enseigna (ce n’est pas celui dont le nom est à la tête d’un évangile). À ce Marc succéda un Athénagore ; à celui-ci, Pantène ; à Pantène, Clément, surnommé Alexandrin ; et à ce Clément, Origène, etc.

C’est là que le verbe fut connu des chrétiens, c’est là que Jésus fut appelé le verbe. Toute la vie de Jésus devint une allégorie, et la Bible juive ne fut plus qu’une autre allégorie qui prédisait Jésus.

Les chrétiens, avec le temps, eurent une trinité ; tout devint mystère chez eux ; moins ils furent compris, plus ils obtinrent de considération.

Il n’avait point encore été question chez les chrétiens de trois substances distinctes composant un seul Dieu, et nommées le Père, le Fils, et le Saint-Esprit.

On fabriqua l’Évangile de Jean, et on y cousit un premier chapitre où Jésus fut appelé verbe et lumière de lumière ; mais pas un mot de la trinité telle qu’on l’admit depuis, pas un mot du Saint-Esprit regardé comme Dieu.

Cet Évangile dit de ceux qui écoutent Jésus : « Ils n’avaient pas encore reçu l’esprit[1] ; » il dit : « L’esprit souffle où il veut[2], » ce qui ne signifie que le vent ; il dit que Jésus fut troublé d’esprit[3] lorsqu’il annonça qu’un de ses disciples le trahirait ; « il rendit l’esprit[4], » ce qui veut dire : il mourut ; « ayant proféré ces mots, il souffla sur eux, et leur dit : Recevez l’esprit[5] » Or il n’y a pas

  1. Jean, vii, 39.
  2. iii, 8.
  3. xiii, 21.
  4. xix, 30.
  5. xx, 22.