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FRAUDES DES CHRÉTIENS.

cinq à six cents miracles faits de nos jours, en France, en faveur des convulsionnaires ; la liste en a été donnée au roi de France par un magistrat[1], qui lui-même était témoin des miracles. Qu’en est-il arrivé ? Le magistrat a été enfermé comme un fou qu’il était ; on s’est moqué de ses miracles à Paris et dans le reste de l’Europe.

Pour constater les miracles, il faut faire tout le contraire de ce qu’on fait à Rome quand on canonise un saint. On commence par attendre que le saint soit mort, et on attend cent années au moins : après quoi, lorsque la famille du saint, ou même la province qui s’intéresse à son apothéose, a cent mille écus tout prêts pour les frais de la chambre apostolique, on fait comparaître des témoins qui ont entendu dire, il y a cinquante ans, à de vieilles femmes qui le savaient de bonne part, que cinquante ans auparavant le saint en question avait guéri leur tante ou leur cousine d’un mal de tête effroyable, en disant la messe pour leur guérison.

Ce n’est pas ainsi que l’on met l’œuvre de Dieu au-dessus de tout soupçon. Le mieux, sans doute, est de s’y prendre comme nous fîmes en 1707, lorsque Fatio Duillier[2] et le bonhomme Daudé vinrent chez nous, des montagnes du Dauphiné et des Cévennes, avec deux ou trois cents prophètes, au nom du Seigneur. Nous leur demandâmes par quel prodige ils voulaient prouver leur mission. Le Saint-Esprit déclara par leur bouche qu’ils étaient prêts de ressusciter un mort. Nous leur permîmes de choisir le mort le plus puant qu’ils pussent trouver. Cette pièce se joua dans la place publique, en présence des commissaires de la reine Anne, du régiment des gardes, et d’un peuple immense. Le résultat, comme on sait, fut de mettre les prétendus ressusciteurs au pilori. Peut-être, dans cent ans d’ici, quelque nouveau prophète trouvera dans ses archives que l’enthousiaste Fatio et l’imbécile Daudé rendirent en effet un mort à la vie, et qu’ils ne furent piloriés que par la perversité des mécréants, qui ne se rendent jamais à l’évidence.

Les premiers chrétiens devaient en user ainsi, et c’est ce que notre docteur Middleton a très-bien aperçu. Ils devaient se présenter en plein sénat, et dire : « Pères conscrits, ayez la bonté de nous donner un mort à ressusciter ; nous sommes sûrs de notre fait, quand ce ne serait qu’une couturière, comme la couturière

  1. Carré de Montgeron. Voyez tome XVI, page 78 ; et XXVI, 272.
  2. Voyez tome XV, page 38 ; et XIX, 86.