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CHAPITRE XXXVI.

des œuvres de mensonge. Nous l’avouons avec douleur : c’est de ces mensonges que les prêtres chrétiens nourrirent leurs petits troupeaux. Ils le savent bien, les Abbadie et les autres écrivains à gages, qui, pour obtenir quelque petit bénéfice de l’archevêque de Dublin, engraissé de notre substance, essayent encore de justifier, s’il est possible, les sectes chrétiennes. Ils n’ont rien à répondre à ces accusations terribles, aussi n’y ont-ils jamais répondu ; et, quand ils sont forcés d’en dire quelques mots, ils passent rapidement sur toutes ces falsifications, sur ces crimes de faux des premiers siècles, sur les brigandages des conciles, sur ce long amas de fourberies. Ils font comme les déserteurs prussiens qui courent de toutes leurs forces quand ils passent par les verges, afin d’être un peu moins fouettés.

Ils se jettent ensuite au plus vite sur les prophéties, comme dans un désert couvert d’épines et de bruyères, dans lequel ils croient qu’on ne pourra pas les suivre ; ils pensent s’y sauver à la faveur des équivoques. Si un patriarche nommé Jacob a dit que Juda[1] lierait son ânon à la vigne, ils vous disent que Jésus est entré dans Jérusalem sur un âne, et ils prétendent que l’ânon de Juda est une prédiction de l’âne de Jésus.

Si Ésaïa[2] dit qu’il fera un enfant à la prophétesse sa femme, et que cet enfant s’appellera Maher-Salal-has-bas, cela veut dire que Marie de Bethléem étant vierge accouchera de l’enfant Jésus.

Si le même Ésaïa[3] se plaint qu’on ne l’écoute pas, s’il se compare à une racine dans une terre sèche, s’il dit qu’il n’a nulle réputation, qu’il est regardé comme un lépreux, qu’il a été frappé pour les iniquités du peuple, qu’il est mené à la boucherie comme une brebis, etc. : tout cela est appliqué à Jésus.

J’ai lu dans le Testament du célèbre curé Meslier, qu’en expliquant ainsi les ouvrages de ceux qu’on appelle nabi, prophètes, chez les Juifs, il y avait trouvé toute l’histoire de don Quichotte clairement prédite[4]. Remarquons que ce curé, le plus charitable des hommes et le plus juste, a demandé pardon à Dieu, en mourant, d’avoir accepté un emploi dans lequel on est obligé de tromper les hommes. Il a consigné dans un gros testament les motifs de son repentir : c’est un fait connu et avéré ; mais

  1. Genèse, ch. xlix, v. 11. (Note de Voltaire.)
  2. Isaïe, ch. viii, v. 3. (Id.)
  3. Isaïe, ch. liii, verset 1-7. (Id.)
  4. Voyez tome XXIV, page 329.