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CHAPITRE XXXV.

demandez pardon à Dieu. Nous sommes Juifs comme vous, circoncis comme vous, fidèles comme vous à la loi mosaïque, ne mangeant point de cochon, point de boudin, point de lièvre parce qu’il rumine et qu’il n’a pas le pied fendu[1] (quoiqu’il ait le pied fendu et qu’il ne rumine pas) ; mais nous vous aurons en horreur jusqu’à ce que vous confessiez que Jésus valait mieux que vous, et que vous viviez avec nous en frères.

La haine divisait ainsi les Juifs ennemis de Jésus, et ses sectateurs. Ceux-ci prirent enfin le nom de chrétiens pour se distinguer. Chrétien signifiait suivant d’un Christ, d’un oint, d’un messie. Bientôt le schisme éclata entre eux sans que l’empire romain en eût la moindre connaissance. C’étaient des hommes de la plus vile populace qui se battaient entre eux pour des querelles ignorées du reste de la terre.

Séparés entièrement des Juifs, comment les chrétiens pouvaient-ils se dire alors de la religion de Jésus ? Plus de circoncision, excepté à Jérusalem ; plus de cérémonies judaïques ; ils n’observèrent plus aucun des rites que Jésus avait observés : ce fut un culte absolument nouveau.

Les chrétiens de diverses villes écrivirent leurs Évangiles, qu’ils cachaient soigneusement aux autres Juifs, aux Romains, aux Grecs ; ces livres étaient leurs mystères secrets. Mais quels mystères ! disent les francs-pensants ; un ramas de prodiges et de contradictions ; les absurdités de Matthieu ne sont point celles de Jean, et celles de Jean sont différentes de celles de Luc. Chaque petite société chrétienne avait son grimoire, qu’elle ne montrait qu’à ses initiés. C’était parmi les chrétiens un crime horrible de laisser voir leurs livres à d’autres. Cela est si vrai qu’aucun auteur romain ni grec, parmi les païens, pendant quatre siècles entiers, n’a jamais parlé d’Évangiles. La secte chrétienne défendait très-rigoureusement à ses initiés de montrer leurs livres, encore plus de les livrer à ceux qu’ils appelaient profanes. Ils faisaient subir de longues pénitences à quiconque de leurs frères en faisait part à ces infidèles.

Le schisme des donatistes, comme on sait, arriva en 305 à l’occasion des évêques, prêtres, et diacres, qui avaient livré les Évangiles aux officiers de l’empire ; on les appela traditeurs, et de là vint le mot traître. Leurs confrères voulurent les punir. On assembla le concile de Cirthe, dans lequel il y eut les plus violentes querelles, au point qu’un évêque nommé Purpuris, accusé

  1. Voyez la note, tome XXIV, page 77.