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CHAPITRE XXXIII.

du temple, la troisième sur une colline, d’où l’on découvrait tous les royaumes de la terre, et qu’il ait argumenté avec le diable ?

Savons-nous d’ailleurs quel sens il attachait à des paroles qui (supposé qu’il les ait prononcées) peuvent s’expliquer en cent façons différentes, puisque c’étaient des paraboles, des énigmes ? Il est impossible qu’il ait ordonné de regarder comme un commis de la douane[1] quiconque n’écouterait pas son église, puisque alors il n’y avait point d’église.

Mais prenons les sentences qu’on lui attribue, et qui sont le moins susceptibles d’un sens équivoque : nous y verrons l’amour de Dieu et du prochain, la morale universelle.

Quant à ses actions, nous ne pouvons en juger que par ce qu’on nous en rapporte. En voit-on une seule (excepté l’aventure des marchands dans le temple) qui annonce un brouillon, un factieux, un perturbateur du repos public, tel qu’il est peint dans le Toldos Jeschut ?

Il va aux noces, il fréquente des exacteurs, des femmes de mauvaise vie ; ce n’est pas là conspirer contre les puissances. Il n’excite point ses disciples à le défendre[2] quand la justice vient se saisir de sa personne. Woolston dira, tant qu’on voudra, que Simon Barjone coupant l’oreille au sergent Malchus, et Jésus rendant au sergent son oreille, est un des plus impertinents contes que le fanatisme idiot ait pu imaginer. Il prouve du moins que l’auteur, quel qu’il soit, regardait Jésus comme un homme pacifique. En un mot, plus on considère sa conduite (telle qu’on la rapporte) par la simple raison, plus cette raison nous persuade qu’il était enthousiaste de bonne foi, et un bon homme qui avait la faiblesse de vouloir faire parler de lui, et qui n’aimait pas les prêtres de son temps.

Nous n’en pouvons juger que par ce qui a été écrit de sa personne. Enfin, ses panégyristes le représentent comme un juste. Ses adversaires ne lui imputent d’autre crime que d’avoir ameuté deux mille hommes ; et cette accusation ne se trouve que dans un livre rempli d’extravagances. Toutes les vraisemblances sont donc qu’il n’était point du tout malfaisant, et qu’il ne méritait pas son supplice.

Les francs-pensants insistent ; ils disent que, puisqu’il a été puni par le supplice des voleurs, il fallait bien qu’il fût coupable au moins de quelque attentat contre la tranquillité publique.

  1. Matth., xviii, 17.
  2. Luc, xxii, 50, 51.