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RECHERCHES SUR JÉSUS.

parmi nous de fouetter les libraires qui vendent auprès de Saint-Paul le livre des Communes prières. Mais aussi il est bien difficile que des marchands établis par les magistrats se soient laissé battre et chasser par un étranger sans aveu, arrivé de son village dans la capitale, à moins qu’il n’ait eu beaucoup de monde à sa suite.

On nous dit encore qu’il noya deux mille cochons[1]. S’il avait ruiné ainsi plusieurs familles qui eussent demandé justice, il faut convenir que, selon les lois ordinaires, il méritait châtiment. Mais comme l’Évangile nous dit que Jésus avait envoyé le diable dans le corps de ces cochons, dans un pays où il n’y eut jamais de cochons, un homme qui n’est encore ni chrétien ni juif, peut raisonnablement en douter. Il dira aux théologiens : « Pardonnez si, en voulant justifier Jésus, je suis forcé de réfuter vos livres. Les Évangiles l’accusent d’avoir battu des marchands innocents, d’avoir noyé deux mille porcs, d’avoir séché un figuier qui ne lui appartenait pas, et de n’en avoir privé le possesseur que parce que cet arbre ne portait pas de figues quand ce n’était pas le temps des figues[2]. Ils l’accusent d’avoir changé l’eau en vin pour des convives qui étaient déjà ivres[3] ; de s’être transfiguré pendant la nuit[4] pour parler à Élie et à Moïse ; d’avoir été trois fois emporté par le diable[5]. Je veux faire de Jésus un juste et un sage : il ne serait ni l’un ni l’autre si tout ce que vous dites était vrai ; et ces aventures ne peuvent être vraies, parce qu’elles ne conviennent ni à Dieu ni aux hommes. Permettez-moi, pour estimer Jésus, de rayer de vos Évangiles ces passages qui le déshonorent. Je défends Jésus contre vous.

« S’il est vrai, comme vous le dites, et comme il est très-vraisemblable, qu’il appelait les pharisiens, les docteurs de la loi, race de vipères, sépulcres blanchis[6], fripons, intéressés, noms que les prêtres de tous les temps ont quelquefois mérités, c’était une témérité très-dangereuse, et qui a coûté plus d’une fois la vie à des imprudents véridiques. Mais on peut être très-honnête homme, et dire qu’il y a des prêtres fripons. »

Concluons donc, en ne consultant que la simple raison, concluons que nous n’avons aucun monument digne de foi qui nous montre que Jésus méritait le supplice dont il mourut ; rien qui prouve que c’était un méchant homme.

  1. Matth., viii, 32 ; Marc, v, 13.
  2. Matth., xi, 19 ; Marc, xi, 13.
  3. Jean, ii, 9.
  4. Matth., xvii, 23.
  5. Matth., iv ; Luc, iv.
  6. Matth., xxiii, 27, 33.