J’ai vu quelques disciples de Bolingbroke, plus ingénieux qu’instruits, qui niaient l’existence d’un Jésus parce que l’histoire des trois mages et de l’étoile, et du massacre des innocents, est, disaient-ils, le comble de l’extravagance : la contradiction des deux généalogies que Matthieu et Luc lui donnent était surtout une raison qu’alléguaient ces jeunes gens pour se persuader qu’il n’y a point eu de Jésus ; mais ils tiraient une très-fausse conclusion. Notre compatriote Houel s’est fait faire en France une généalogie fort ridicule ; quelques Irlandais ont écrit que lui et Jeansin avaient un démon familier qui leur donnait toujours des as quand ils jouaient aux cartes. On a fait cent contes extravagants sur eux. Cela n’empêche pas qu’ils n’aient réellement existé ; ceux qui ont perdu leur argent avec eux en ont été bien convaincus.
Que de fadaises n’a-t-on pas dites du duc de Buckingham ! Il n’en a pas moins vécu sous Jacques et sous Charles[1].
Apollonius de Tyane n’a certainement ressuscité personne ; Pythagore n’avait pas une cuisse d’or ; mais Apollonius et Pythagore ont été des êtres réels. Notre divin Jésus n’a peut-être pas été emporté réellement par le diable sur une montagne[2]. Il n’a pas réellement séché un figuier au mois de mars, pour n’avoir pas porté de figues, quand ce n’était pas le temps des figues[3]. Il n’est peut-être pas descendu aux enfers, etc., etc., etc. Mais il y a eu un Jésus respectable, à ne consulter que la raison.
Qui était cet homme ? Le fils reconnu d’un charpentier de village : les deux partis en conviennent ; ils disputent sur la mère. Les ennemis de Jésus disent qu’elle fut engrossée par un nommé Panther. Ses partisans disent qu’elle fut enceinte de l’esprit de Dieu. Il n’y a pas de milieu entre ces deux opinions des Juifs et des chrétiens. Les Juifs auraient pu cependant embrasser un troisième sentiment, qui est plus naturel : c’était que son mari, qui lui fit d’autres enfants, lui fit encore celui-là ; mais l’esprit de parti n’a jamais de sentiment modéré. Il résulte de cette diversité d’opinions que Jésus était un inconnu né dans la lie du peuple ; et il résulte que, s’étant donné pour prophète comme tant d’autres, et n’ayant jamais rien écrit, les païens auraient pu raisonnablement douter qu’il sût écrire, ce qui serait conforme à son état et à son éducation.