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DÉLUGE.

connus. Platon dit que l’île Atlantide fut autrefois submergée. Que ce soit une fable ou une vérité, il n’importe ; personne n’a jamais douté que plusieurs parties de notre globe n’aient souffert de grandes révolutions ; mais le déluge universel, tel qu’on le raconte, est physiquement impossible. Ni Thucydide, ni Hérodote, ni aucun ancien historien, n’a déshonoré sa plume par une telle fable.

S’il y avait eu chez les hommes quelque ressouvenir d’un si étrange événement, Hésiode et Homère l’auraient-ils passé sous silence ? Ne retrouverait-on pas dans ces poëtes quelques allusions, quelques comparaisons tirées de ce bouleversement de la nature ? N’aurait-on pas conservé quelques vers d’Orphée, dans lesquels on aurait pu en retrouver des vestiges ?

Les Juifs ne peuvent avoir imaginé le déluge universel qu’après avoir entendu parler de quelques déluges particuliers. Comme ils n’avaient aucune connaissance du globe, ils prirent la partie pour le tout, et l’inondation d’un petit pays pour l’inondation de la terre entière. Ils exagérèrent, et quel peuple n’a pas été exagérateur ?

Quelques romanciers, quelques poëtes, dans la suite des temps, exagérèrent chez les Grecs, et de l’inondation d’une partie de la Grèce firent une inondation universelle. Ovide la célébra dans son livre charmant des Métamorphoses[1]. Il avait raison, une telle aventure n’est faite que pour la poésie : c’est pour nous un miracle ; c’était une fable pour les Grecs et pour les Romains.

Il y eut encore d’autres déluges qu’en Grèce, et voici probablement quelle est la source du récit du déluge, que les Juifs firent dans leur Genèse quand ils écrivirent dans la suite des temps sous le nom de Moïse.

Eusèbe et George le syncelle, c’est-à-dire le greffier, nous ont conservé des fragments d’un certain Abydène.

Cet Abydène avait transcrit des fragments de Bérose, ancien auteur chaldéen. Ce Bérose avait écrit des romans, et dans ces romans il avait parlé d’une inondation arrivée sous un roi de Chaldée, nommé Xissuter, dont on a fait depuis Xissutrus, qu’on suppose avoir vécu du temps où l’on fait vivre Noé.

Il disait donc, ce Bérose, qu’un dieu chaldéen, dont on a fait depuis Saturne, apparut à Xissuter, et lui dit : Le 15 du mois d’œsi, le genre humain sera détruit par le déluge. Enfermez bien tous vos écrits dans Sipara, la ville du soleil, afin que la mé-

  1. Livre Ier, fable vii.