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CHAPITRE XXIV.

salem, ils s’avisèrent de composer une histoire de Moïse encore plus fabuleuse que celle qui a obtenu le titre de canonique. Nous en avons un fragment assez considérable, traduit par le savant Gilbert Gaulmin[1], dédié au cardinal de Bérulle. Voici les principales aventures rapportées dans ce fragment aussi singulier que peu connu.

[2]Cent trente ans après l’établissement des Juifs en Égypte, et soixante ans après la mort du patriarche Joseph, le pharaon eut un songe en dormant. Un vieillard tenait une balance ; dans l’un des bassins étaient tous les habitants de l’Égypte, dans l’autre était un petit enfant, et cet enfant pesait plus que tous les Égyptiens ensemble. Le pharaon appelle aussitôt ses shotim, ses sages. L’un des sages lui dit : « Ô roi ! cet enfant est un Juif qui fera un jour bien du mal à votre royaume. Faites tuer tous les enfants des Juifs, vous sauverez par là votre empire, si pourtant on peut s’opposer aux ordres du destin. »

Ce conseil plut au pharaon ; il fit venir les sages-femmes, et leur ordonna d’étrangler tous les mâles dont les Juives accoucheraient... Il y avait en Égypte un homme nommé Amram, fils de Caath, mari de Jochabed, sœur de son frère. Jochabed lui donna une fille nommée Marie, qui signifie persécutée, parce que les Égyptiens descendants de Cham persécutaient les Israélites, Jochabed accoucha ensuite d’Aaron, qui signifie condamné à mort, parce que le pharaon avait condamné à mort tous les enfants juifs. Aaron et Marie furent préservés par les anges du Seigneur, qui les nourrirent aux champs et qui les rendirent à leurs parents quand ils furent dans l’adolescence.

Enfin Jochabed eut un troisième enfant : ce fut Moïse (qui par conséquent avait quinze ans de moins que son frère). Il fut exposé sur le Nil. La fille du pharaon le rencontra en se baignant, le fit nourrir, et l’adopta pour son fils, quoiqu’elle ne fût point mariée.

Trois ans après, son père le pharaon prit une nouvelle femme ; il fit un grand festin ; sa femme était à sa droite, sa fille était à sa gauche avec le petit Moïse. L’enfant, en se jouant, lui prit sa couronne et la mit sur sa tête. Balaam le magicien, eunuque du

  1. Gaulmin, né à Moulins en 1585, mort en 1665. Il publia en 1629 l’ouvrage dont Voltaire parle souvent, et qui est intitulé De Vita et Morte Mosis libri tres (hébreu et latin). On ne connaît pas le nom du rabbin qui composa cette légende. (G. A.)
  2. Ce paragraphe et les douze qui suivent ont été reproduits par l’auteur dans ses Questions sur l’Encyclopédie. Voyez tome XVII, page 295.