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DE L’EMPEREUR JULIEN.

contre les Juifs, et les chrétiens contre eux tous. Ce fut lui qui fit massacrer, par ses prêtres et par ses diocésains, cette jeune Hypatie si connue de tous ceux qui aiment les lettres. C’était un prodige de science et de beauté. Elle enseignait publiquement la philosophie de Platon dans Alexandrie ; fille et disciple du célèbre Théon, elle eut pour son disciple Synésius, depuis évèque de Ptolémaïde, qui, quoique chrétien, ne fit nulle difficulté d’étudier sous une païenne, et d’être ensuite évêque dans une religion à laquelle il déclara publiquement ne point croire. Cyrille, jaloux du prodigieux concours des Alexandrins à la chaire d’Hypatie, souleva contre elle des meurtriers qui l’assassinèrent dans sa maison, et traînèrent son corps sanglant dans la ville[1]. Tel fut l’homme qui écrivit contre un empereur philosophe ; tel fut Cyrille, dont on a fait un saint.

Observons ici, et n’oublions jamais que ces mêmes chrétiens avaient égorgé toute la famille de Dioclétien, de Galérius, et de Maximin, dès que Constantin se fut déclaré pour leur religion. Redisons cent fois que le sang a coulé par leurs mains depuis quatorze cents ans, et que l’orthodoxie n’a presque jamais été prouvée que par des bourreaux. Ceux qui ont eu le pouvoir de brûler leurs adversaires ont eu, par conséquent, le pouvoir de se faire reconnaître dans leur parti pour les seuls vrais chrétiens.

Une chose assez singulière, c’est que Julien était platonicien, et les chrétiens aussi. Quand je parle des chrétiens, j’entends ceux qui avaient quelque science, car pour la populace elle n’est rien : ce n’est qu’un ramas d’ânes aveugles à qui ses maîtres font tourner la meule.

Le clergé grec, qui fut le vrai fondateur du christianisme, appliqua l’idée du logos et des demi-dieux créés par le grand Démiourgos, à Jésus et aux anges. Ils étaient platoniciens en fanatiques et en ignorants. Julien s’en tint à la seule doctrine de Platon. Ce n’est au fond qu’une dispute de métaphysique. Il est étrange qu’un empereur toujours guerrier trouvât du temps pour se jeter dans ces disputes de sophistes. Mais ce prodige ne nous étonne plus depuis que nous avons vu un plus grand guerrier que lui écrire avec encore plus de force contre les préjugés[2].

  1. Voyez tome XIX, page 393 ; XXVI, 289 ; et plus loin le paragraphe 23 de l’opuscule De la Paix perpétuelle.
  2. Voyez le discours qui est à la tête de l’Abrégé de l’Histoire ecclésiastique de Fleury. (Note de Voltaire.) — L’Abrégé de l’Histoire ecclésiastique de Fleury, traduit de l’anglais (ou plutôt rédigé par l’abbé de Prades), 1767, 2 vol. in-12,