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CHAPITRE XXII.

par tête, selon la mesure du temple[1], puisque les Juifs n’eurent de temple que plusieurs siècles après lui. Mais le grand Newton, le savant Leclerc, et plusieurs autres auteurs célèbres ont traité si supérieurement cette matière que nous rougirions d’en parler encore.

Nous n’entrons point ici dans le détail des prodiges épouvantables dont on rend Moïse témoin oculaire. Milord Bolingbroke[2] relève avec une extrême sévérité ceux qui attribuent à Moïse le Pentateuque, et, surtout, ceux qui font chanter un long poëme à ce Moïse âgé de quatre-vingts ans, en sortant du fond de la mer Rouge devant trois millions de personnes, lorsqu’il fallait pourvoir à leur subsistance.

Il dit qu’il faut être aussi imbécile et aussi impudent qu’un Abbadie, pour oser apporter en preuve des écrits de Moïse qu’il les lut à tout le peuple juif. C’est précisément ce qui est en question. Celui qui les écrivit, six ou sept cents ans après lui, put sans doute dire que Moïse avait lu son ouvrage aux trois millions de Juifs assemblés dans le désert. Cette circonstance n’était pas plus difficile à imaginer que les autres. Milord ajoute que les puérilités d’Abbadie et de ses consorts ne soutiendront pas cet édifice monstrueux, qui croule de toutes parts et qui retombe sur leur tête.

Une foule d’écrivains, indignés de toutes ces impostures, les combattent encore tous les jours : ils démontrent qu’il n’y a pas une seule page dans la Bible qui ne soit une faute ou contre la géographie, ou contre la chronologie, ou contre toutes les lois de la nature, contre celles de l’histoire, contre le sens commun, contre l’honneur, la pudeur et la probité. Plusieurs philosophes, emportés par leur zèle, ont couvert d’opprobre ceux qui soutiennent encore ces vieilles erreurs. Nous n’approuvons pas ce zèle amer, nous condamnons les invectives dans un sujet qui ne mérite que la pitié et les larmes. Mais nous sommes forcés de convenir que leurs raisons méritent l’examen le plus réfléchi. Nous ne voulons examiner que la vérité, et nous comptons pour rien les injures atroces que les deux partis vomissent l’un contre l’autre depuis longtemps.

  1. Exode, ch. xxx, v. 13. Voyez, mon cher lecteur, si le sceau de l’imposture a jamais été mieux marqué. (Note de Voltaire.)
  2. C’est sous ce nom que Voltaire a publié son Examen important ; voyez tome XXVI, page 204.