Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
SACRIFICES D’HOMMES.

plus précieux que nos enfants, surtout quand ils sont beaux ? On a donc partout, dans quelques occasions, dans quelques calamités publiques, offert ses enfants aux prêtres pour les immoler ; et il fallait payer à ces prêtres les frais de la cérémonie. On a poussé la fureur religieuse jusqu’à s’immoler soi-même. Mais toutes les fois que nous parlons de nos superstitions sanguinaires et abominables, ne perdons point de vue qu’il faut toujours excepter les Chinois, chez lesquels on ne voit aucune trace de ces sacrifices.

Heureusement il n’est pas prouvé que dans l’antiquité on ait immolé des hommes régulièrement à certain jour nommé, comme les papistes font en immolant leur Dieu tous les dimanches ; nous n’avons chez aucun peuple aucune loi qui dise : Tel jour de la lune on immolera une fille, tel autre jour un garçon ; ou bien : Quand vous aurez fait mille prisonniers dans une bataille, vous en sacrifierez cent à votre Dieu protecteur.

Achille sacrifie dans l’Iliade douze jeunes Troyens aux mânes de Patrocle ; mais il n’est point dit que cette horreur fût prescrite par la loi.

Les Carthaginois, les Égyptiens, les Grecs, les Romains mêmes, ont immolé des hommes ; mais ces cérémonies ne sont établies par aucune loi du pays. Vous ne voyez ni dans les Douze Tables romaines, ni dans les lois de Lycurgue, ni dans celles de Solon, « qu’on tue saintement des filles et des garçons avec un couteau sacré ». Ces exécrables dévotions ne paraissent établies que par l’usage, et ces crimes consacrés ne se commettent que très-rarement.

Le Pentateuque est le seul monument ancien dans lequel on voit une loi expresse d’immoler des hommes, des commandements exprès de tuer au nom du Seigneur. Voici ces lois :

1° Ce qui aura été offert à Adonaï ne se rachètera point, il sera mis à mort[1]. C’est selon cette horrible loi qu’il est dit que Jephté égorgea sa propre fille, et il lui fit comme il avait voué[2]. Comment après un passage si clair, si positif, trouve-t-on encore des barbouilleurs de papier qui osent dire qu’il ne s’agit ici que de virginité ?

2° Adonaï dit à Moïse[3] : Vengez les enfants d’Israël des Madianites... « Tuez tous les mâles, et jusqu’aux enfants. Égorgez les

  1. Lévitique, xxvii, 29. (Note de Voltaire.)
  2. Juges, xi, 39.
  3. Nombres, xxxi, 2, 17, 18.