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ORIGINE DES JUIFS.

pendant la guerre. Il confina cette troupe de brigands dans le désert de Sina, où ils firent des filets avec lesquels ils prirent des cailles dont ils se nourrirent. Ils habitèrent le pays qu’on appela depuis d’un nom qui signifie, en langue égyptienne, nez coupé, et que les Grecs exprimèrent par celui de Rhinocolure. Ce passage, auquel on a fait trop peu d’attention, joint à l’ancienne tradition que les Hébreux étaient une troupe de lépreux chassés d’Égypte, semble jeter quelque jour sur leur origine. Ils avouent qu’ils ont été à la fois lépreux et voleurs ; ils disent qu’après avoir volé les Égyptiens ils s’enfuirent dans ce même désert où fut depuis Rhinocolure. Ils spécifient que la sœur de leur Moïse eut la lèpre ; ils s’accordent avec les Égyptiens sur l’article des cailles.

Il est donc vraisemblable, humainement parlant, et abstraction faite de tout merveilleux, que les Juifs étaient des Arabes vagabonds sujets à la lèpre, qui venaient piller quelquefois les confins d’Égypte, et qui se retirèrent dans le désert d’Horeb et de Sinaï quand on leur eut coupé le nez et les oreilles. Cette haine qu’ils manifestèrent depuis contre l’Égypte donne quelque force à cette conjecture. Ce qui peut encore augmenter la probabilité, c’est que l’Égyptien Apion, d’Alexandrie, qui écrivit du temps de Caligula une histoire de son pays, et un autre auteur, nommé Chencres, de la ville de Mondes, assurent tous deux que ce fut sous le roi ou pharaon Amasis que les Juifs furent chassés. Nous avons perdu leurs écrits, mais le Juif Josèphe, qui écrivit contre Apion après la mort de cet Égyptien, ne le combat point sur l’époque d’Amasis. Il le réfute sur d’autres points : et tous ces autres points prouvent que les Égyptiens avaient écrit autant de faussetés sur les Juifs qu’on reprochait aux Juifs d’en avoir écrit eux-mêmes.

Flavius Josèphe fut le seul Juif qui passa chez les Romains pour avoir quelque bon sens. Cependant cet homme de bon sens rapporte sérieusement la fable des Septante et d’Aristée, dont Van Dale et tant d’autres ont fait voir le ridicule et l’absurdité. Il ajoute à cette ineptie que le roi d’Égypte, Ptolémée Philadelphe, ayant demandé aux traducteurs comment il se pouvait faire que des livres aussi sages que ceux des Juifs n’eussent été jamais connus d’aucune nation, on répondit à Ptolémée que ces livres étaient trop divins pour que des profanes osassent jamais les citer, et que Dieu ne pouvait le permettre.

Remarquez qu’on faisait cette belle réponse dans les temps mêmes qu’on mettait ces livres entre les mains des profanes.