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DES ARABES ET DE BACCHUS.

avec tant de soin, qu’afin que l’esprit igné ou aérien qu’on a toujours supposé animer le corps vînt retrouver ce corps au bout de mille ans, quelques-uns disent même au bout de trois mille. Rien n’est si avéré que l’immortalité de l’âme établie en Égypte.

Je ne parlerai point ici des folles et ridicules superstitions dont ce beau pays fut inondé beaucoup plus que des eaux de son fleuve. Il devint le plus méprisable des grands peuples, comme les Juifs sont devenus la plus haïssable et la plus honteuse des petites nations. Mon seul but est de faire voir que tous les grands peuples civilisés, et même les petits, ont reconnu un Dieu suprême de temps immémorial ; que tous les grands peuples ont admis expressément la permanence de ce qu’on appelle âme, après la mort, excepté les Chinois. Encore ne peut-on pas dire que les Chinois l’aient niée formellement. Ils n’ont ni assuré ni combattu ce dogme ; leurs livres n’en parlent point. En cela ont-ils été sages ou simplement ignorants ?


CHAPITRE XI.
Des Arabes et de Bacchus.


Hérodote nous apprend que les Arabes adoraient Vénus-Uranie et Bacchus. Mais de quelle partie de l’Arabie parle-t-il ? C’est probablement de toutes les trois. Alexandre, dit-on, voulait établir le siége de son empire dans l’Arabie Heureuse. Il fit dire aux peuples de l’Yémen et de Saanna qu’il avait fait autant que Bacchus, et qu’il voulait être adoré comme lui. Or il est très-vraisemblable que Bacchus étant adoré dans la grande Arabie, il l’était aussi dans la Pétrée et dans la Déserte. Les provinces pauvres se conforment toujours aux usages des riches. Mais comment des Arabes adoraient-ils Vénus ? C’est qu’ils adoraient les étoiles en reconnaissant pourtant un Dieu suprême. Et il est si vrai qu’ils adoraient l’Être suprême que, de temps immémorial, ils partageaient leurs champs en deux parts : la première, pour Dieu, et la seconde, pour l’étoile qu’ils affectionnaient le plus[1]. Allah fut toujours chez eux le nom de Dieu. Les peuples voisins prononçaient El. Ainsi Babel sur l’Euphrate était la ville de Dieu ; Israël chez les Perses signifiait voyant Dieu, et les Hébreux prirent ce nom d’Israël dans la suite, comme l’avoue le Juif Philon. Tous les

  1. Voyez la préface de l’Alcoran, dans Sale. (Note de Voltaire.)