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DES ÉGYPTIENS.

d’un adversaire ! Avouons donc sans difficulté que Sanchoniathon est beaucoup plus ancien qu’aucun livre juif.

La religion de ces Phéniciens était, comme toutes les autres, une morale saine, parce qu’il ne peut y avoir deux morales : une métaphysique absurde, parce que toute métaphysique l’a été jusqu’à Locke ; des rites ridicules, parce que le peuple a toujours aimé les momeries. Quand je dis que toutes les religions ont des simagrées indignes des honnêtes gens, j’excepte toujours celle du gouvernement chinois, que nulle superstition grossière n’a jamais souillée.

Les Phéniciens admettaient d’abord un chaos comme les Indiens. L’esprit devint amoureux des principes confondus dans le chaos ; il s’unit à eux, et l’amour débrouilla tout. La terre, les astres, les animaux, en naquirent.

Ces mêmes Phéniciens sacrifiaient aux vents ; et cette superstition était très-convenable à un peuple navigateur. Chaque ville de Phénicie eut ensuite ses dieux et ses rites particuliers.

C’est surtout de Phénicie que vint le culte de la déesse que nous appelons Vénus. La fable de Vénus et d’Adonis est toute phénicienne. Adoni ou Adonaï était un de leurs dieux ; et quand les Juifs vinrent, longtemps après, dans le voisinage, ils appelèrent leur dieu des noms phéniciens Jéhova, Jaho, Adonaï, Sadaï, etc.

Tout ce pays, depuis Tyr jusqu’au fond de l’Arabie, est le berceau des fables, comme nous le verrons dans la suite ; et cela devait être ainsi, puisque c’était le pays des lettres.


CHAPITRE X.
Des Égyptiens.


Le poëte philosophe français[1] qui le premier a dit que les Égyptiens sont une nation toute nouvelle se fonde sur une raison qui est sans réplique : c’est que l’Égypte étant inondée cinq mois de l’année, ces inondations accumulées devaient rendre le terrain fangeux entièrement impraticable ; qu’il a fallu des siècles pour dompter le Nil, pour lui creuser des canaux, pour bâtir des villes élevées vingt pieds au-dessus du sol ; que l’Asie, au contraire, a des plaines immenses, des rivières plus favorables, et que, par conséquent, tous les peuples asiatiques ont dû former des sociétés policées très-longtemps avant qu’on pût bâtir auprès du Nil une seule maison tolérable.

  1. Voltaire lui-même : voyez tome XI, pages 59-60.