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DE L’EMPEREUR JULIEN.

du grand Saladin, qui rétablit cette même mosquée. Jésus avait-il tant de prédilection pour les mosquées des musulmans ?

Quatrièmement, Jésus, ayant prédit qu’il ne resterait pas pierre sur pierre dans Jérusalem, n’avait pas défendu de la rebâtir.

Cinquièmement, Jésus a prédit plusieurs choses dont Dieu n’a pas permis l’accomplissement. Il prédit la fin du monde et son avènement dans les nuées avec une grande puissance et une grande majesté à la fin de la génération qui vivait alors. Cependant le monde dure encore, et durera vraisemblablement assez longtemps[1].

Sixièmement, si Julien avait écrit ce miracle, je dirais qu’on l’a trompé par un faux rapport ridicule ; je croirais que les chrétiens ses ennemis mirent tout en œuvre pour s’opposer à son entreprise, qu’ils tuèrent les ouvriers, et firent accroire que les ouvriers étaient morts par miracle. Mais Julien n’en dit mot. La guerre contre les Perses l’occupait alors. Il différa pour un autre temps l’édification du temple, et il mourut avant de pouvoir commencer cet édifice.

Septièmement, ce prodige est rapporté par Ammien Marcellin, qui était païen. Il est très-possible que ce soit une interpolation des chrétiens : on leur en a reproché tant d’autres qui ont été avérées !

Mais il n’est pas moins vraisemblable que, dans un temps où on ne parlait que de prodiges et de contes de sorciers, Ammien Marcellin ait rapporté cette fable sur la foi de quelque esprit crédule. Depuis Tite-Live jusqu’à de Thou inclusivement, toutes les histoires sont infectées de prodiges.

[2] Huitièmement, les autres contemporains rapportent que, dans le même temps, il y eut en Syrie un grand tremblement de terre ; qu’elle s’enflamma en plusieurs endroits, et engloutit plusieurs villes. Alors, plus de miracle.

Neuvièmement, si Jésus faisait des miracles, serait-ce pour empêcher qu’on rebâtît un temple où lui-même sacrifia et où il fut circoncis ? Ne ferait-il pas des miracles pour rendre chrétiens tant de nations qui se moquent du christianisme, ou plutôt pour rendre plus doux et plus humains ses chrétiens, qui, depuis Arius et Athanase jusqu’aux Roland et aux Cavalier des Cévennes, ont versé des torrents de sang, et se sont conduits en cannibales ?

  1. Luc, ch. xxi. (Note de Voltaire.)
  2. Cet alinéa est un de ceux qui ont été ajoutés en 1769.