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INDE, UN DIEU.

lui. Sans cela n’aurait-on pas dit qu’il en était l’instituteur ? Fo-Hi était à la tête d’un peuple innombrable : donc cette nation rassemblée était très-antérieure à Fo-Hi ; donc elle avait depuis très-longtemps une religion, car quel grand peuple fut jamais sans religion ? Il n’en est aucun exemple sur la terre.

Mais ce qui est unique et admirable, c’est que, dans la Chine, l’empereur a toujours été pontife et prédicateur. Les édits ont toujours été des exhortations à la vertu. L’empereur a toujours sacrifié au Tien, au Chang-Ti. Point de prêtre assez insolent pour lui dire : « Il n’appartient qu’à moi de sacrifier, de prier Dieu en public. Vous touchez à l’encensoir, vous osez prier Dieu vous-même, vous êtes un impie. »

Le bas peuple fut sot et superstitieux à la Chine comme ailleurs. Il adora dans les derniers temps des dieux ridicules. Il s’éleva plusieurs sectes depuis environ trois mille ans ; le gouvernement, sage et tolérant, les a laissées subsister : uniquement occupé de la morale et de la police, il ne trouva pas mauvais que la canaille crût des inepties, pourvu qu’elle ne troublât point l’État, et qu’elle obéît aux lois. La maxime de ce gouvernement fut toujours : « Crois ce que tu voudras, mais fais ce que je t’ordonne. »

Lors même que, dans les premiers jours de notre ère vulgaire, je ne sais quel misérable nommé Fo prétendit être né d’un éléphant blanc par le côté gauche, et que ses disciples firent un dieu de ce pauvre charlatan, les quarante grands parlements du royaume souffrirent que la populace s’amusât de cette farce. Aucune des bêtises populaires ne troubla l’État ; elles ne lui firent pas plus de mal que les Métamorphoses d’Ovide et l’Âne d’Apulée n’en firent à Rome. Et nous, malheureux ! et nous ! que d’inepties, que de sottises, que de trouble et de carnage ! L’histoire chinoise n’est souillée d’aucun trouble religieux. Nul prophète qui ameutât le peuple, nul mystère qui portât le ravage dans les âmes. Confutzée fut le premier des médecins, parce qu’il ne fut jamais charlatan. Et nous, misérables ! et nous !


CHAPITRE V.
De l’Inde, des brachmanes, de leur théologie imitée très-tard par les Juifs, et ensuite par les Chrétiens.


La religion des brachmanes est encore plus ancienne que celle des Chinois. Du moins les brachmanes le protestent ; ils conser-