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PERPÉTUELLE.

qui n’est que trop vraie, ne paraît pas être dans la nature humaine ; mais ce qui est plus contraire encore à la nature, c’est que des soldats aient obéi, et que, pour une solde modique, ces monstres aient égorgé quinze mille personnes sans défense, vieillards, femmes, et enfants.

Quelques auteurs, pour excuser Théodose, disent qu’il n’y eut que sept mille hommes de massacrés ; mais il est aussi permis d’en compter vingt mille que de réduire le nombre à sept. Certes il eût mieux valu que ces soldats eussent tué l’empereur Théodose, comme ils en avaient tué tant d’autres, que d’égorger quinze mille de leurs compatriotes. Le peuple romain n’avait point élu cet Espagnol pour qu’il le massacrât à son plaisir. Tout l’empire fut indigné contre lui et contre son ministre Rufin, principal instrument de cette boucherie. Il craignit que quelque nouveau concurrent ne saisît cette occasion pour lui arracher l’empire ; il courut soudain en Italie, où l’horreur de son crime soulevait tous les esprits contre lui, et, pour les apaiser, il s’abstint pendant quelque temps d’entrer dans l’église de Milan. Ne voilà-t-il pas une plaisante réparation ! Expie-t-on le sang de ses sujets en n’allant point à la messe ? Toutes les histoires ecclésiastiques, toutes les déclamations sur l’autorité de l’Église, célèbrent la pénitence de Théodose ; et tous les précepteurs des princes catholiques proposent encore aujourd’hui pour modèles à leurs élèves les empereurs Théodose et Constantin, c’est-à-dire les deux plus sanguinaires tyrans qui aient souillé le trône des Titus, des Trajan, des Marc-Aurèle, des Alexandre Sévère, et du philosophe Julien, qui ne sut jamais que combattre et pardonner.

XXII.

C’est sous l’empire de ce Théodose qu’un autre tyran, nommé Maxime, pour engager dans son parti les évêques espagnols, leur accorde, en 383, le sang de Priscillien et de ses adhérents[1], que ces évêques poursuivaient comme hérétiques. Quelle était l’hérésie de ces pauvres gens ? On n’en sait que ce que leurs ennemis leur reprochaient. Ils n’étaient pas de l’avis des autres évêques ; et sur cela seul, deux prélats députés par les autres vont à Trèves, où était l’empereur Maxime : ils font donner la question, en leur présence, à Priscillien et à sept prêtres, et les font périr par la main des bourreaux.

Depuis ce temps la loi s’établit, dans l’Église chrétienne, que

  1. Voyez tome XV, page 497 ; et XXVI, 289.