Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/126

Cette page a été validée par deux contributeurs.
116
DE LA PAIX

en avons eu beaucoup parmi nous, surtout dans nos calamités ; mais assurément aucun d’eux n’a prédit ni pu prédire un homme tel que Jésus. Si par impossible ils avaient prophétisé touchant cet homme, ils auraient au moins annoncé son nom, et ce nom ne se trouve dans aucun de leurs écrits ; ils auraient dit que Jésus devait naître d’une femme nommée Mirja, que les chrétiens prononcent ridiculement Maria ; ils auraient dit que les Romains le feraient pendre à la sollicitation du sanhédrin. Les chrétiens répondent à cette objection puissante qu’alors les prophéties auraient été trop claires, et qu’il fallait que Dieu fût caché. Quelle réponse de charlatans et de fanatiques ! Quoi, si Dieu parle par la voix d’un prophète qu’il inspire, il ne parlera pas clairement ! Quoi, le Dieu de vérité ne s’expliquera que par les équivoques qui appartiennent au mensonge ! Cet énergumène imbécile, qui a parlé avant moi, a montré toute la turpitude de son système, en rapportant les prétendues prophéties que la secte chrétienne tâche de corrompre en faveur de Jésus par des interprétations absurdes. Les chrétiens cherchent partout des prophéties : ils poussent la démence jusqu’à trouver Jésus dans une églogue[1] de Virgile ; ils ont voulu le trouver dans les vers des sibylles, et, n’en pouvant venir à bout, ils ont eu la hardiesse absurde d’en forger une en vers grecs acrostiches, qui pèchent même par la quantité ; je la mets sous les yeux de Votre Sacrée Majesté. »

Le Juif, à ces mots, fouillant dans sa poche sale et grasse, en tira la prédiction que saint Justin et d’autres avaient attribuée aux sibylles :


Avec cinq pains et deux poissons[2]
Il nourrira cinq mille hommes au désert.
Et en ramassant les morceaux qui resteront
Il en remplira douze paniers.


XVII.

Marc-Aurèle leva les épaules de pitié, et le Juif continua ainsi : « Je ne dissimulerai point que, dans nos temps de calamité, nous avons attendu un libérateur. C’est la consolation de toutes les nations malheureuses, et surtout des peuples esclaves. Nous avons toujours appelé messie quiconque nous a fait du bien, comme les mendiants appellent domine, monseigneur, ceux qui leur font quelque aumône : car nous ne devons pas ici faire les

  1. La sixième.
  2. Voyez tome XI, page 91 ; XVII, 314 ; XVIII, 169.