Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/124

Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
DE LA PAIX

fois fois les Juifs, et excepté nous aujourd’hui, qui sommes substitués aux Juifs. Cette filiation aussi ancienne que la terre, le péché du premier homme racheté par le sang du Dieu hébreu[1], l’incarnation de ce Dieu prédite par tous les prophètes, sa mort figurée par tous les événements de l’histoire juive, ses miracles faits à la vue du monde entier dans un coin de la Galilée, sa vie écrite hors de Jérusalem cinquante ans après qu’il eut été supplicié à Jérusalem, le logos de Platon que nous avons identifié avec Jésus, enfin les enfers dont nous menaçons quiconque ne croira pas en lui et en nous : tout ce grand tableau de vérités lumineuses démontre que l’empire romain nous sera soumis, et que le trône des césars deviendra le trône de la religion chrétienne.

LE SÉNATEUR.

Cela pourrait arriver. La populace aime à être séduite ; il y a toujours au moins cent gredins imbéciles et fanatiques contre un citoyen sage. Vous me parlez des miracles de votre Dieu : il est bien certain que si on se laisse infatuer de prophéties et de miracles joints au logos de Platon ; si on fascine ainsi les yeux, les oreilles, et l’esprit des simples ; si, à l’aide d’une métaphysique insensée, réputée divine, on échauffe l’imagination des hommes, toujours amoureux du merveilleux, certes on pourra parvenir un jour à bouleverser l’empire. Mais, dites-nous, quels sont les miracles de votre Juif-Dieu ?

LE CHRÉTIEN.

Le premier est que le diable l’emporta[2] sur une montagne ; le second, qu’étant à une noce de paysans où tout le monde était ivre[3] et tout le vin ayant été bu, il changea en vin l’eau qu’il fit mettre dans des cruches ; mais le plus beau de tous ses miracles est qu’il envoya deux diables[4] dans le corps de deux mille cochons, qui allèrent se noyer dans un lac, quoiqu’il n’y eût point de cochons dans le pays.

<span title="Nombre XVI écrit en chiffres romains" style="text-transform:uppercase;">XVI.

Marc-Aurèle, ennuyé de ces choses divines, qui ne paraissaient que des bêtises à son esprit aveuglé, imposa silence au chrétien, qui aurait encore parlé longtemps. Il ordonna au Juif de s’expliquer, de lui dire en effet si la secte chrétienne était une branche

  1. Le péché originel n’était point connu alors. (Note de Voltaire.) — Voyez tome XX, page 153.
  2. Matthieu, iv, 8 ; Luc, iv, 5.
  3. Jean, ii, 9.
  4. Matthieu, viii, 32 ; Marc, v, 13.