Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.
111
PERPÉTUELLE


Polyeucte, emporté par le fanatisme le plus punissable, brise les vases sacrés, les statues d’un temple où l’on rendait grâces au ciel pour la victoire de l’empereur ; et on fait un saint de ce perturbateur du repos public, criminel de lèse-majesté !

Un Théodore, imitateur d’Érostrate, brûle le temple de Cybèle dans Amasie en 305 ; et on fait un saint de cet incendiaire ! Les empereurs et le sénat, qui n’étaient pas illuminés par la foi, ne pouvaient donc s’empêcher de regarder le christianisme comme une secte intolérante et comme une faction téméraire qui, tôt ou tard, aurait des suites funestes au genre humain.

XV.

Un jour, un Juif de bon sens et un chrétien comparurent devant un sénateur éclairé, en présence du sage Marc-Aurèle, qui voulait s’instruire de leurs dogmes. Le sénateur les interrogea l’un après lautre.


LE SÉNATEUR, au chrétien.

Pourquoi troublez-vous la paix de l’empire ? Pourquoi ne vous contentez-vous pas, comme les Syriens, les Égyptiens, et les Juifs, de pratiquer tranquillement vos rites ? Pourquoi voulez-vous que votre secte anéantisse toutes les autres ?

LE CHRÉTIEN.

C’est qu’elle est la seule véritable. Nous adorons un Dieu juif, né dans un village de Judée, sous l’empereur Auguste, l’an de Rome 752 ou 756 ; son père et sa mère furent inscrits, selon le divin saint Luc, dans ce village, lorsque l’empereur fit faire le dénombrement de tout l’univers, Cyrenius étant alors gouverneur de Syrie.

LE SÉNATEUR.

Votre Luc vous a trompés. Cyrenius ne fut gouverneur de Syrie que dix ans après l’époque dont vous parlez : c’était Quintilius Varus qui était alors proconsul de Syrie ; nos annales en font foi[1]. Jamais Auguste n’eut le dessein extravagant de faire un dénombrement de l’univers ; jamais même il n’y eut sous son règne un recensement entier des citoyens romains. Quand même on en aurait fait un, il n’aurait pas eu lieu en Judée, qui était gouvernée par Hérode, tributaire de l’empire, et non par des officiers de César. Le père et la mère de votre Dieu étaient,

  1. Histoire romaine. (Note de Voltaire.)