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PERPÉTUELLE.

un ennemi dont je dois me défaire. Il est évident que les chrétiens voulaient chasser les enfants de la maison : il était donc très-juste de les réprimer ; on ne punissait pas le christianisme, mais la faction intolérante, et encore la punissait-on si rarement qu’Origène et Tertullien, les deux plus violents déclamateurs, sont morts dans leur lit. Nous ne voyons aucun de ceux qu’on appelait papes de Rome supplicié sous les premiers césars. Ils étaient intolérants et tolérés dans la capitale du monde. La misérable équivoque du mot martyr ne doit point faire croire que le pape Télesphore ait été supplicié. Martyr signifiait témoin, confesseur.

XII.

Pour bien connaître l’intolérance des premiers chrétiens, ne nous en rapportons qu’à eux-mêmes. Ouvrons ce fameux Apologétique de Tertullien : nous y verrons la source de la haine des deux partis. Tous deux croyaient fermement à la magie ; c’était l’erreur générale de l’antiquité, depuis l’Euphrate et le Nil jusqu’au Tibre. On imputait à des êtres inconnus les maladies inconnues qui affligeaient les hommes : plus la nature était ignorée, plus le surnaturel était en vogue. Chaque peuple admettait des démons, des génies malfaisants ; et partout il y avait des charlatans qui se vantaient de chasser les démons avec des paroles. Les Égyptiens, les Chaldéens, les Syriens, les Juifs, les prêtres grecs et romains, avaient tous leur formule particulière. On opérait des prodiges en Égypte et en Phénicie en prononçant le mot Iao, Jéhova, de la manière dont on le prononce dans le ciel. On faisait plusieurs conjurations par le moyen du mot abraxa[1]. On chassait par la parole tous les mauvais démons qui tourmentaient les hommes. Tertullien ne conteste pas le pouvoir des démons. « Apollon, dit-il dans son chapitre XXII, devina que Crésus faisait cuire dans son palais, en Lydie, une tortue avec un agneau dans une marmite d’airain. Pourquoi en fut-il si bien informé ? C’est qu’il alla en Lydie en un clin d’œil, et qu’il en revint de même. »

Tertullien n’en savait pas assez pour nier ce ridicule oracle ; il était si ignorant qu’il en rendait raison et qu’il l’expliquait. « Les démons, continue-t-il, séjournent dans l’air entre les nuées et les astres. Ils annoncent la pluie quand ils voient qu’elle est prête à tomber, et ils ordonnent des remèdes pour des maladies qu’eux-mêmes ont envoyées aux hommes. »

Ni lui ni aucun Père de l’Église ne contestent le pouvoir de la

  1. Voyez tome XVIII, page 23.