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DE LA PAIX

ordinaire jusqu’à faire mourir quelquefois des chrétiens pour lesquels ils avaient autant de mépris que pour les Juifs ? Il est vrai qu’il y en eut très-peu d’envoyés au supplice. Origène lui-même l’avoue dans son troisième livre contre Celse, en ces propres mots : « Il y a eu très-peu de martyrs, et encore de loin à loin ; cependant, dit-il, les chrétiens ne négligent rien pour faire embrasser leur religion par tout le monde ; ils courent dans les villes, dans les bourgs, dans les villages. » Mais enfin il est vrai qu’il y eut quelques chrétiens d’exécutés à mort : voyons donc s’ils furent punis comme chrétiens ou comme factieux.

Faire périr un homme dans les tortures, uniquement parce qu’il ne pense pas comme nous, est une abomination dont les anthropophages mêmes ne sont pas capables. Comment donc les Romains, ces grands législateurs, auraient-ils fait une loi de ce crime ? On répondra que les chrétiens ont commis tant de fois cette horreur que les anciens Romains peuvent aussi s’en être souillés. Mais la différence est sensible. Les chrétiens, qui ont massacré une multitude innombrable de leurs frères, étaient possédés d’une violente rage de religion ; ils disaient : Dieu est mort pour nous, et les hérétiques le crucifient une seconde fois : vengeons par leur sang le sang de Jésus-Christ. Les Romains n’ont jamais eu une telle extravagance. Il est évident que s’il y eut quelques persécutions, ce fut pour réprimer un parti, et non pour abolir une religion.

XI.

Rapportons-nous-en à Tertullien lui-même. Jamais homme n’écrivit avec plus de violence ; les Philippiques de Cicéron contre Antoine sont des compliments en comparaison des injures que cet Africain prodigue à la religion de l’empire, et des reproches qu’il fait aux mœurs de ses maîtres. On accusait les chrétiens de boire du sang, parce qu’en effet ils figuraient le sang de Jésus-Christ par le vin qu’ils buvaient dans leur cène ; il récrimine en accusant les dames romaines d’avaler une liqueur plus précieuse que le sang de leurs amants, une chose que je ne puis nommer, et qui doit former un jour des hommes : Quia futurum sanguinem lambunt. (Chapitre ix.)

Tertullien ne se borne pas, dans son Apologétique, à dire qu’il faut tolérer la religion chrétienne ; il fait entendre en cent endroits qu’elle doit régner seule, qu’elle est incompatible avec les autres.

Celui qui veut être admis dans ma maison y sera reçu s’il est sage et utile ; mais celui qui n’y entre que pour m’en chasser est