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PERPÉTUELLE.

plus que de son épée : les lettres ont enfin adouci les mœurs. Il y a bien moins de cannibales dans la chrétienté qu’autrefois ; c’est toujours une consolation dans l’horrible fléau de la guerre, qui ne laisse jamais l’Europe respirer vingt ans en repos.

III.

Si la guerre même est devenue moins barbare, le gouvernement de chaque État semble devenir aussi moins inhumain et plus sage. Les bons écrits faits depuis quelques années ont percé dans toute l’Europe, malgré les satellites du fanatisme qui gardaient tous les passages. La raison et la pitié ont pénétré jusqu’aux portes de l’Inquisition. Les actes d’anthropophages, qu’on appelait actes de foi, ne célèbrent plus si souvent le Dieu de miséricorde à la lumière des bûchers et parmi les flots de sang répandus par les bourreaux. On commence à se repentir en Espagne d’avoir chassé les Maures, qui cultivaient la terre ; et s’il était question de révoquer aujourd’hui l’édit de Nantes, personne n’oserait proposer une injustice si funeste.

IV.

Si le monde n’était composé que d’une horde sauvage, vivant de rapines, un fripon ambitieux serait excusable peut-être de tromper cette horde pour la civiliser, et d’emprunter le secours des prêtres. Mais qu’arriverait-il ? Bientôt les prêtres subjugueraient cet ambitieux lui-même, et il y aurait entre sa postérité et eux une haine éternelle, tantôt cachée, tantôt ouverte : cette manière de civiliser une nation serait en peu de temps pire que la vie sauvage. Quel homme en effet n’aimerait pas mieux aller à la chasse avec les Hottentots et les Cafres que de vivre sous des papes tels que Sergius III, Jean X, Jean XI, Jean XII, Sixte IV, Alexandre VI, et tant d’autres monstres de cette espèce ? Quelle nation sauvage s’est jamais souillée du sang de cent mille manichéens, comme l’impératrice Théodora ? Quels Iroquois, quels Algonquins ont à se reprocher des massacres religieux tels que la Saint-Barthélemy, la guerre sainte d’Irlande, les meurtres saints de la croisade de Montfort, et cent abominations pareilles, qui ont fait de l’Europe chrétienne un vaste échafaud couvert de prêtres, de bourreaux, et de patients ? L’intolérance chrétienne a seule causé ces horribles désastres : il faut donc que la tolérance les répare.

V.

Pourquoi le monstre de l’intolérantisme habita-t-il dans la fange des cavernes habitées par les premiers chrétiens ? Pourquoi,