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AUX ROMAINS.

Ô Romains ! mes larmes ont coulé, et je vous estime assez pour croire que vous pleurez avec moi.

ARTICLE III.

On m’a fait comprendre qu’un vieux prêtre élu pape par d’autres prêtres ne peut avoir ni le temps ni la volonté de soulager votre misère. Il ne peut songer qu’à vivre. Quel intérêt prendrait-il aux Romains ? Rarement est-il Romain lui-même. Quel soin prendra-t-il d’un bien qui ne passera point à ses enfants ? Rome n’est pas son patrimoine comme il était devenu celui des césars : c’est un bénéfice ecclésiastique ; la papauté est une espèce d’abbaye commendataire, que chaque abbé ruine pendant sa vie. Les césars avaient un intérêt réel à rendre Rome florissante ; les patriciens en avaient un bien plus grand du temps de la république ; on n’obtenait les dignités qu’en charmant le peuple par des bienfaits, en forçant ses suffrages par l’apparence des vertus, en servant l’État par des victoires : un pape se contente d’avoir de l’argent et du pain azyme, et ne donne que des bénédictions à ce peuple qu’on appelait autrefois le peuple roi.

Votre premier malheur vint de la translation de l’empire de Rome à l’extrémité de la Thrace. Constantin, élu empereur par quelques cohortes barbares au fond de l’Angleterre, triompha de Maxence élu par vous. Maxence, noyé dans le Tibre au fort de la mêlée, laissa l’empire à son concurrent ; mais le vainqueur alla se cacher au rivage de la mer Noire : il n’aurait pas fait plus s’il avait été vaincu. Souillé de débauches et de crimes, assassin de son beau-père, de son beau-frère, de son neveu, de son fils et de sa femme, en horreur aux Romains, il abandonna leur ancienne religion sous laquelle ils avaient conquis tant d’États, et se jeta dans les bras des chrétiens, qui lui avaient fourni l’argent auquel il était redevable du diadème : ainsi il trahit l’empire dès qu’il en fut possesseur, et, en transplantant sur le Bosphore ce grand arbre qui avait ombragé l’Europe, l’Afrique, et l’Asie Mineure, il en dessécha les racines. Votre seconde calamité fut cette maxime ecclésiastique citée dans un poëme français très-célèbre, intitulé le Lutrin[1], mais trop sérieusement véritable :

Abîme tout plutôt : c’est l’esprit de l’Église.

  1. Chant I, v. 186.