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AUX ROMAINS.

Celui qui vous écrit n’a été ni valet de prêtre, ni meurtrier, ni gardeur de manteaux, ni apostat, ni faiseur de tentes, ni englouti au fond de la mer comme Jonas pendant vingt-quatre heures, ni emporté au troisième ciel comme Élie, sans savoir ce que c’est que ce troisième ciel.

Celui qui vous écrit est plus citoyen que ce Saul Paul, qui se vante, dit-on, de l’être, et qui certainement ne l’était pas : car s’il était de Tarsus, cette ville ne fut colonie romaine que sous Caracalla ; s’il était né à Giscala en Galilée, ce qui est bien plus vraisemblable, puisqu’il était de la tribu de Benjamin, on sait assez que ce bourg juif n’était pas une ville romaine ; on sait que ni à Tarsus ni ailleurs on ne donnait pas la bourgeoisie romaine à des Juifs. L’auteur des Actes des apôtres[1] avance que ce Juif Paul et un autre Juif nommé Silas furent saisis par la justice dans la ville de Philippe en Macédoine (ville fondée par le père d’Alexandre, et près de laquelle la bataille entre Cassius et Brutus d’un côté, et Antoine et Octave de l’autre, décida de votre empire), Paul et Silas furent fouettés pour avoir ému la populace, et Paul dit aux huissiers : «[2]On nous a fouettés, nous qui sommes citoyens romains. » Les commentateurs avouent bien que ce Silas n’était pas citoyen romain. Ils ne disent pas que l’auteur des Actes en a menti ; mais ils conviennent qu’il a dit la chose qui n’est pas ; et j’en suis fâché pour le Saint-Esprit, qui a sans doute dicté les Actes des apôtres.

Enfin celui qui écrit aux descendants des Marcellus, des Scipion, des Caton, des Cicéron, des Titus, des Antonins, est un gentilhomme romain, d’une ancienne famille transplantée, mais qui chérit son antique patrie, qui gémit sur elle, et dont le cœur est au Capitole.

Romains, écoutez votre concitoyen, écoutez Rome et votre ancien courage.

. . . . . . . . . . . . . L’antico valore
Negl’ italici cor non è ancor morto.

(Petrarc., Conz. xxix.)
ARTICLE II.

J’ai pleuré dans mon voyage chez vous, quand j’ai vu des Zoccolanti[3] occuper ce même Capitole[4] où Paul-Émile mena le

  1. Chap. xvi, v. 22. (Note de Voltaire.)
  2. Actes, ch. xvi, v. 37. (Id.)
  3. Récollets, porte-sandales.
  4. Voyez tome XXIII, page 479, le Dialogue entre Marc-Aurèle et un Récollet.