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vous craignez surtout de voir renaître les sociniens, ces impies qui s’en tiennent à l’Évangile, et qui n’y ont jamais vu que Jésus s’appelât Dieu, ni qu’il ait parlé de la Trinité, ni qu’il ait rien annoncé de ce qu’on enseigne aujourd’hui à Rome ; ces monstres enfin qui, avec saint Paul, ne croient qu’en Jésus, et non en Bellarmin et en Baronius.

Eh bien ! ni le roi ni le prince primat n’ont envoyé chez vous de colonie socinienne ; mais quand vous en auriez une, quel grand mal en résulterait-il ? Un bon tailleur, un bon fourreur, un bon fourbisseur, un maçon habile, un excellent cuisinier, ne vous rendraient-ils pas service s’ils étaient sociniens, autant pour le moins que s’ils étaient jansénistes ou hernoutres ? N’est-il pas même évident qu’un cuisinier socinien doit être meilleur que tous les cuisiniers du pape ? car si vous ordonnez à un rôtisseur papiste de vous mettre trois pigeons romains à la broche, il sera tenté d’en manger deux, et de ne vous en donner qu’un, en disant que trois et un font la même chose ; mais le rôtisseur socinien vous fera servir certainement vos trois pigeons. De même un tailleur de cette secte ne fera jamais votre habit que d’une aune quand vous lui en donnerez trois à employer.

Vous êtes forcés d’avouer l’utilité des sociniens ; mais vous vous plaignez que l’impératrice de Russie ait envoyé trente mille hommes dans votre pays. Vous demandez de quel droit. Je vous réponds que c’est du droit dont un voisin apporte de l’eau à la maison de son voisin qui brûle ; c’est du droit de l’amitié, du droit de l’estime, du droit de faire du bien quand on le peut.

Vous avez tiré fort imprudemment sur de petits détachements de soldats qui n’étaient envoyés que pour protéger la liberté et la paix. Sachez que les Russes tirent mieux que vous ; n’obligez pas vos protecteurs à vous détruire ; ils sont venus établir la tolérance en Pologne, mais ils puniront les intolérants qui les reçoivent à coups de fusil.

Vous savez que Catherine II la tolérante est la protectrice du genre humain : elle protégera ses soldats, et vous serez les victimes de la plus haute folie qui soit jamais entrée dans la tête des hommes, c’est celle de ne pas souffrir que les autres délirent autrement que vous. Cette folie n’est digne que de la Sorbonne, des petites-maisons, et de Kaminieck.

Vous dites que l’impératrice n’est pas votre amie ; que ses bienfaits, qui s’étendent aux extrémités de l’hémisphère, n’ont point été répandus sur vous ; vous vous plaignez que, ne vous ayant rien donné, elle ait acheté cinquante mille francs la biblio-