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faire librement exercice public ou privé de sa religion, sans qu’on le puisse troubler en rien, pourvu qu’il fasse profession de croire un Dieu éternel, tout-puissant, formateur et conservateur de l’univers. »

Par cette loi, le théisme a été consacré comme le centre où toutes les lignes vont aboutir, comme le seul principe nécessaire. Aussi qu’est-il arrivé ? la colonie pour laquelle cette loi fut faite n’était alors composée que de cinq cents têtes ; elle est aujourd’hui de trois cent mille. Nos Souabes, nos Saltzbourgeois, nos palatins, plusieurs autres colons de notre basse Allemagne, des Suédois, des Holstenois, ont couru en foule à Philadelphie. Elle est devenue une des plus belles et des plus heureuses villes de la terre, et la métropole de dix villes considérables. Plus de vingt religions sont autorisées dans cette province florissante, sous la protection du théisme leur père, qui ne détourne point les yeux de ses enfants, tout opposés qu’ils sont entre eux, pourvu qu’ils se reconnaissent pour frères. Tout y est en paix, tout y vit dans une heureuse simplicité, pendant que l’avarice, l’ambition, l’hypocrisie, oppriment encore les consciences dans tant de provinces de notre Europe : tant il est vrai que le théisme est doux, et que la superstition est barbare.


que toute religion rend témoignage au théisme.

Toute religion rend, malgré elle, hommage au théisme, quand même elle le persécute. Ce sont des eaux corrompues partagées en canaux dans des terrains fangeux, mais la source est pure. Le mahométan dit : « Je ne suis ni juif ni chrétien ; je remonte à Abraham : il n’était point idolâtre ; il adorait un seul Dieu. » Interrogez Abraham : il vous dira qu’il était de la religion de Noé, qui adorait un seul Dieu. Que Noé parle, il confessera qu’il était de la religion de Seth, et Seth ne pourra dire autre chose, sinon qu’il était de la religion d’Adam, qui adorait un seul Dieu.

Le juif et le chrétien sont forcés, comme nous l’avons vu[1], de remonter à la même origine. Il faut qu’ils avouent que, suivant leurs propres livres, le théisme a régné sur la terre jusqu’au déluge, pendant 1656 ans selon la Vulgate, pendant 2262 ans selon les Septante, pendant 2309 ans selon les Samaritains ; et qu’ainsi, à s’en tenir au plus faible nombre, le théisme a été la seule reli-

  1. Voyez tome XXIV, page 439, le Sermon des cinquante.