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garde de rapporter ; et ce que d’Aubigné et les contemporains nous certifient.

« Faut-il vous montrer ici la foule de ceux qui furent exécutés à Lyon, dans la place des Terreaux, depuis 1546 ? Faut-il vous faire voir Mlle de Cagnon suivant, dans une charrette, cinq autres charrettes chargées d’infortunés condamnés aux flammes parce qu’ils avaient le malheur de ne pas croire qu'un homme pût changer du pain en Dieu ? Cette fille, malheureusement persuadée que la religion réformée est la véritable, avait toujours répandu des largesses parmi les pauvres de Lyon. Ils entouraient, en pleurant, la charrette où elle était traînée chargée de fers. Hélas ! lui criaient-ils, nous ne recevrons plus d’aumônes de vous.Eh bien ! dit-elle, vous en recevrez encore ; et elle leur jeta ses mules de velours, que ses bourreaux lui avaient laissées.

« Avez-vous vu la place de l’Estrapade à Paris ? Elle fut couverte, sous François Ier, de corps réduits en cendre. Savez-vous comme on les faisait mourir ? On les suspendait à de longues bascules qu’on élevait et qu’on baissait tour à tour sur un vaste bûcher, afin de leur faire sentir plus longtemps toutes les horreurs de la mort la plus douloureuse. On ne jetait ces corps sur les charbons ardents que lorsqu’ils étaient presque entièrement rôtis, et que leurs membres retirés, leur peau sanglante et consumée, leurs yeux brûlés, leur visage défiguré, ne leur laissaient plus l’apparence de la figure humaine.

« Le jésuite Daniel suppose, sur la foi d'un infâme écrivain de ce temps-là, que François Ier dit publiquement qu’il traiterait ainsi le dauphin son fils s’il donnait dans les opinions des réformés. Personne ne croira qu’un roi, qui ne passait pas pour un Néron, ait jamais prononcé de si abominables paroles. Mais la vérité est que tandis qu’on faisait à Paris ces sacrifices de sauvages, qui surpassent tout ce que l’Inquisition a jamais fait de plus horrible, François Ier plaisantait avec ses courtisans et couchait avec sa maîtresse. Ce ne sont pas là, monsieur, des histoires de sainte Potamienne, de sainte Ursule, et des onze mille vierges : c’est un récit fidèle de ce que l’histoire a de moins incertain.

« Le nombre des martyrs réformés, soit vaudois, soit albigeois, soit évangéliques, est innombrable. Un nommé Pierre Bergier fut brûlé à Lyon en 1552, avec René Poyet, parent du chancelier Poyet. On jeta dans le même bûcher Jean Chambon, Louis Dimonet, Louis de Marsac, Étienne de Gravot, et cinq jeunes écoliers. Je vous ferais trembler si je vous faisais voir la liste des martyrs que les protestants ont conservée.