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pape seul a le droit d’accorder pour de l’argent à un filleul la permission d’épouser sa marraine. Qu’est-ce qu’une marraine ? C’est une femme inutile ajoutée à un parrain nécessaire, laquelle a de surcroît répondu pour vous que vous seriez chrétien. Or, parce qu’elle a dit que vous observeriez les rites du christianisme, ce sera un crime de contracter avec elle un sacrement du christianisme ! et le pape seul pourra changer ce crime en une action méritoire et sacrée, moyennant une taxe !

Ce prétendu crime n’était pas moins grand entre le parrain et la marraine[1] et les père et mère de l’enfant. Ils ont répondu qu’un enfant né en Bavière serait chrétien : donc les parrains et marraines ne pourront jamais épouser le père ou la mère, si un prêtre de Rome ne leur fait payer chèrement une dispense ! Et un homme qui aurait été parrain de son enfant ne peut plus coucher avec sa femme sans la permission du pape, ou d’un prêtre délégué par lui ! Et c’est ainsi qu’on a traité les hommes ! Ils le méritaient puisqu’ils l’ont souffert.

DE LA BULLE « IN COENA DOMINI ».

La bulle In cœna Domini n’est pas à beaucoup près le monument le plus étrange de l’absurde despotisme si longtemps affecté autrefois par la cour de Rome. Les bulles des Grégoire VII, des Innocent IV, des Grégoire IX, des Boniface VIII, ont été, sans doute, plus funestes ; mais la bulle In cœna Domini est d’autant plus remarquable qu’elle a été forgée dans des temps où les hommes commençaient à sortir de l’épaisse barbarie qui avait si longtemps abruti toute l’Europe. L’Angleterre et la moitié du continent, soulevées, au xvi siècle, contre les usurpations romaines, semblaient avertir cette cour d’être modérée. Cependant, au mépris de toute bienséance et des droits divins et humains, l'évêque de Rome, Pie V, n’hésita pas à promulguer cette bulle, qu’on fulmine à Rome tous les jeudis de la semaine sainte, avec les cérémonies les plus pompeuses et les plus lugubres. On excommunie en ce jour tous les magistrats, tous les évêques, tous les hommes enfin qui appellent à un futur concile ; tous les capitaines de vaisseau qui courent la mer sur les côtes de

1.

2. Voltaire écrivait en 1769 ; l’année suivante, la bulle ne fut pas publiée à Rome. Voyez sa note, tome XVIII, page 43.

  1. Mon curé, en baptisant un enfant, le 11 juin 1769, dit à Mlle Nolet, la marraine : « Souvenez-vous que vous ne pouvez épouser ni l’enfant, ni son père, ni sa mère. » (Note de Voltaire.)