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46 CONSEILS RAISONNABLES

VOUS voulez prouver que Jésus envoya le diable % du corps de deux possédés, dans le corps de deux mille cochons qui allèrent se noyer dans le lac de Génézaretli. Ainsi un diable se trouva dans deux mille corps à la fois, ou, si vous voulez, deux diables dans deux mille corps, ou bien Dieu envoya deux mille diables.

Pour peu que vous eussiez eu de prudence, vous n'auriez pas parlé d'un tel miracle, vous n'auriez pas excité les risées de tous les gens de bon sens; vous auriez dit avec le grand Origène que ce sont des types, des paraboles ; vous vous seriez souvenu qu'il n'y eut jamais de cochons cliez les Juifs ni chez les Arabes leurs voisins. Vous auriez fait réflexion que si, contre toute vraisem- blance, quelque marchand eût conduit deux mille cochons dans ces contrées, Jésus aurait commis une très-méchante action de noyer ces deux mille porcs ; qu'un tel troupeau est une richesse très-considérable. Le prix de deux mille porcs a toujours sur- passé celui de dix mille moutons. Noyer ces bêtes ou les empoi- sonner, c'est la même chose. Que feriez-vous d'un homme qui aurait empoisonné dix mille moutons?

Des témoins oculaires, dites-vous, rappoftent cette histoire. Ignorez-vous ce que répondent les incrédules? Ils ne regardent comme vrais témoins oculaires que des citoyens domiciliés dignes de foi, qui, interrogés publiquement par le magistrat sur un fait extraordinaire, déposent unanimement qu'ils l'ont vu, qu'ils l'ont examiné ; des témoins qui ne se contredisent jamais; des témoins dont la déposition est conservée dans les archives publiques, revêtue de toutes les formes. Sans ces conditions, ils ne peuvent croire un fait ridicule en lui-même, et impossible dans les cir- constances dont on l'accompagne. Ils rejettent avec indignation et avec dédain des témoins dont les livres n'ont été connus dans le monde que plus de cent années après l'événement ; des livres dont aucun auteur contemporain n'a jamais parlé ; des livres qui se contredisent les uns les autres à chaque page ; des livres qui attribuent à Jésus deux généalogies absolument différentes, et qui ne sont que la généalogie de Joseph, qui n'est point son père; des livres pour lesquels, disent-ils, vous auriez le plus profond mépris, et que vous ne daigneriez pas réfuter, s'ils étaient écrits par des hommes d'une autre religion que la vôtre. Ils croient que vous pensez comme eux dans le fond de votre cœur, et que vous avez la lâcheté de soutenir ce qu'il vous est impossible de croire. Pardonnez-nous de vous rapporter leurs funestes discours. Nous

Matth., vjii, 32; Marc, v, 13

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