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boiteux, et que de plus j’ai tourmentés par différents démons, il les a guéris d’une parole, et il vous a enlevé les morts que je vous ai amenés. Or le prince des enfers, répondant, dit à Satan : Quel est ce prince si puissant, puisqu’il est un homme craignant la mort ? Car tous les puissants de la terre sont tenus assujettis par ma puissance, après que vous les avez amenés assujettis par votre force. Si donc il est puissant dans son humanité, je vous dis véritablement il est tout-puissant dans sa divinité, et personne ne peut résister à son pouvoir ; et lorsqu’il dit qu’il craint la mort, il veut vous tromper, et malheur à vous sera dans des siècles éternels. Or, Satan répondant, dit au prince du Tartare : Qu’avez-vous hésité, et qu’avez-vous craint de prendre ce Jésus de Nazareth, votre adversaire et le mien ? Car je l’ai tenté, et j’ai excité contre lui par le zèle et la colère mon ancien peuple juif. J’ai aiguisé une lance pour sa passion ; j’ai mêlé du fiel et du vinaigre, et je lui ai fait donner à boire, et j’ai préparé du bois pour le crucifier, et des clous pour percer ses mains et ses pieds ; et sa mort est très-proche ; et je vous l’amènerai assujetti à vous et à moi. Or le prince du Tartare, répondant, dit : Vous m’avez dit que c’est lui qui m’a arraché les morts. Ceux qui sont détenus ici, pendant qu’ils vivaient sur la terre, n’ont point été enlevés par leurs pouvoirs, mais par les divines prières, et leur Dieu tout-puissant me les a arrachés. Quel est donc ce Jésus de Nazareth, qui, par sa parole, m’a arraché les morts sans prières ? C’est peut-être lui qui m’a arraché, et a rendu à la vie, par son pouvoir, Lazare mort depuis quatre jours, sentant mauvais et dissous[1], que je détenais mort. Satan, répondant au prince des enfers, dit : C’est ce même Jésus de Nazareth. Le prince des enfers, entendant ces choses, lui dit : Je vous conjure par vos vertus et par les miennes, ne me l’amenez pas ; car lorsque j’ai appris la force de sa parole, j’ai tremblé très-effrayé de crainte ; et en même temps tous mes mauvais ministres ont été troublés avec moi ; et nous n’avons pas pu retenir Lazare même ; mais, se secouant avec toute la malignité et la vitesse possibles, il est sorti sain d’avec nous, et la terre même qui tenait le corps mort de Lazare l’a aussitôt rendu vivant. Or je sais maintenant que le Dieu tout-puissant a pu faire ces choses, lui qui est puissant dans son empire, et puissant dans son humanité, et qui est le sauveur du genre humain. Ne me l’amenez donc point ; car tous ceux que je retiens ici renfermés en prison sous l’incrédulité, et en-

  1. Jean, xi, v. 39. (Note de Voltaire.)