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DE M. DE VOLTAIRE. 411

flammes, et notre Adonaï délivra Sidrac, Misac et Abdenago, de la fournaise de Babylone ! » A peine eurent-ils prononcé ces pa- roles que Dieu commanda aux nuages de se joindre; une pluie mêlée de grêle tombe avec tant de violence que le bûcher en est éteint. On vient avertir l' empereur { qui pourtant était alors à Rome, et non dans Antioclie^ ) que le ciel se déclare pour Romain. L'empereur envoie dire à Asclépiade d'abandonner cette petite affaire; qu'il ne veut rien avoir à démêler avec le Dieu du ciel, et qu^il défend au juge de se commettre davantage avec lui. Le juge Asclépiade obtient par composition qu'on coupera la langue au jeune Romain, Il se trouva là un mé- decin qui portait toujours avec lui les instruments pour couper les langues. Il trancha celle de saint Romain jusqu'à la racine, et l'emporta dans sa maison enveloppée bien proprement dans de la soie.

L'anatomic nous apprend, continue don Thierry Ruinart, et l'expérience le confirme, qu'un homme à qui on a coupé la langue ne saurait vivre. Et de là il conclut qu'il y a déjà trois miracles écla- tants en faveur de saint Romain : celui des bourreaux qui ne purent le tuer, celui du bûcher éteint, et celui de la vie conservée à Romain malgré le retranchement de sa langue.

Mais ce n'est pas tout : voici un quatrième miracle digne des trois autres. Saint Romain, dit le bénédictin, était bègue comme Moïse avant qu'on lui eût coupé la langue. Dès qu'il n'eut plus de langue, il se mit à parler avec une volubilité inconcevable. De là don Ruinart conclut que le Saint-Esprit était descendu sur lui en forme de langue comme sur les apôtres, et lui avait accordé comme aux apôtres le don de parler fort vite.

On court raconter ce nouveau miracle au juge Asclépiade, qui était avec l'empereur. Le médecin fut alors accusé d'être un ignorant ou un fripon qui coupait très-mal les langues. Le méde- cin montre aussitôt la langue de saint Romain, qu'il avait heu- reusement gardée dans un coupon de soie. Il protesta qu'il avait agi secundum artem; qu'il était impossible de vivre un quart d'heure sans langue, et que si Romain était encore en vie, c'était un miracle évident. « Pour vous le prouver, dit-il à l'empereur, faites-moi délivrer le premier passant: je vais lui couper la langue, et vous verrez s'il n'en mourra pas sur l'heure. » L'empereur vou- lut se donner le plaisir de cette expérience. On prit un pauvre homme : le médecin lui coupa la langue, et le patient mourut à

��1. On place raventin*e de saint Romain au mois de novembre, et Dioclétien partit pour Rome en octobre. {Note de Voltaire.)

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