Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.
33
ENTRETIENS CHINOIS.

encore son père et sa mère, s’il est marié, s’il est veuf, s’il est riche ou pauvre, grand ou petit ; on vous interroge sur vos actions.

8o « Si tu n’es pas instruit de certains faits, si tu ne crois pas certaines obscurités, si tu ne sais par cœur certaines formules, si tu n’as pas mangé en certains temps certains aliments qu’on ne trouve point dans la moitié du globe, tu seras éternellement malheureux. » Voilà ce que les hommes ont pu inventer de plus absurde et de plus horrible. « Si tu es juste tu seras récompensé ; si tu es injuste tu seras puni. » Voilà ce qui est raisonnable.

9o Certains brames, qui croient que les enfants morts avant que d’avoir été baignés dans le Gange sont condamnés à des supplices éternels, sont les plus insensés de tous les hommes et les plus durs. Ceux qui font vœu de pauvreté pour s’enrichir ne sont pas les moins fourbes ; ceux qui cabalent dans les familles et dans l’État ne sont pas les moins méchants.

10o Plus les hommes sont faibles, enthousiastes, fanatiques, plus le gouvernement doit être modéré et sage.

11o Si vous donnez à un charlatan le privilège exclusif de faire des almanachs, il fera un calendrier de superstition pour tous les jours de l’année ; il intimidera les peuples et les magistrats par les conjonctions et les influences des astres. Si vous laissez vingt charlatans faire des almanachs, ils prédiront des événements différents ; ils se décréditeront tous les uns les autres : un temps viendra où tout le peuple aura découvert la friponnerie de tous les astrologues.

12o Alors il n’y aura plus d’almanachs que ceux des véritables astronomes qui calculent juste les mouvements des globes, qui n’attribuent d’influence à aucun, et qui ne prédisent ni la bonne ni la mauvaise fortune. Le peuple insensiblement ne croira que ces sages ; il adorera d’un culte plus pur le créateur et le guide de tous les globes, et notre petit globe en sera plus heureux.

13o Il est impossible que l’esprit de paix, l’amour du prochain, le bon ordre, en un mot la vertu, subsiste au milieu des disputes interminables ; il n’y a jamais eu la moindre dispute entre les lettrés, qui se bornent à reconnaître un Dieu, à l’aimer, à le servir sans mélange de superstitions, et à servir leur prochain.

14o C’est là le premier devoir ; le second est d’éclairer les superstitieux ; le troisième est de les tolérer en les plaignant, si on ne peut les éclairer.

15o Il peut y avoir plusieurs cérémonies ; mais il n’y a qu’une seule morale. Ce qui vient de Dieu est universel et immuable ; ce qui vient des hommes est local, inconstant, périssable.