Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/397

Cette page n’a pas encore été corrigée

C.

Ah ! pardonnez-moi ; nous nous faisions autrefois la guerro pour nous manger; mais, à la longue, toutes les bonnes institu- tions dégénèrent.

B.

J’ai lu dans un livre ^ que nous n’avons, l’un portant l’autre, qu’environ vingt-deux ans à vivre ; que de ces vingt-deux ans, si vous retranchez le temps perdu du sommeil et le temps que nous perdons dans la veille, il reste à peine ([uinze ans clair et net; que sur ces quinze ans il ne faut pas compter l’enfance, qui n’est qu’un passage du néant à l’existence ; et que, si vous retranchez encore les tourments du corps, et les chagrins de ce qu’on appelle âme, il ne reste pas trois ans francs et quittes pour les plus heu- reux, et pas six mois pour les autres. N’est-ce pas là un abus into- lérable?

A.

Eh ! que diable en conclurez-vous ? Ordonnerez-vous que la nature soit autrement faite qu’elle ne l’est ?

B.

Je le désirerais du moins.

A.

C’est un secret sur pour abréger encore votre vie.

C.

Laissons là les pas de clerc qu’a faits la nature ; les enfants formés dans la matrice pour y périr souvent et pour donner la mort à leur mère ; la source de la vie empoisonnée par un venin qui s’est glissé, de trou en cheville, de l’Amérique en Europe ; la petite vérole, qui décime le genre humain; la peste, toujours subsistante en Afrique ; les poisons dont la terre est couverte et qui viennent d’eux-mêmes si aisément, tandis qu’on ne peut avoir du froment qu’avec des peines incroj ables : ne parlons que des abus que nous avons introduits nous-mêmes.

B.

La liste serait longue dans la société perfectionnée : car, sans compter l’art d’assassiner régulièrement le genre humain par la guerre, dont nous avons déjà parlé -, nous avons lart d’arracher

1. L’Homme aux quarante écus ; voyez tome XXI, page 314.

2. Voyez onzième entretien, page 308.