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C.

Cependant il est bon que tout le monde ne dise pas ce qu’il pense. On ne doit insulter ni par écrit, ni dans ses discours, les puissances et les lois à l’abri desquelles on jouit de sa fortune, de sa liberté, et de toutes les douceurs de la vie.

A.

Non, sans doute, et il faut punir le séditieux téméraire; mais, parce que les hommes peuvent abuser de récriture, faut-il leur en interdire l’usage ? J’aimerais autant qu’on tous rendît muet pour vous empêcher de faire de mauvais arguments. On vole dans les rues, faut-il pour cela défendre d’y marcher? On dit des sottises et des injures, faut-il défendre de parler? Chacun peut écrire chez nous ce qu’il pense, à ses risques et à ses périls; c’est la seule manière de parler à sa nation. Si elle trouve que vous avez parlé ridiculement, elle vous siffle; si séditieusement, elle vous punit; si sagement et noblement, elle vous aime et vous récompense. La liberté de parler aux hommes avec la plume est établie en Angleterre comme en Pologne; elle l’est dans les Provinces-Unies ; elle l’est enfin dans la Suède, qui nous imite; elle doit l’être dans la Suisse, sans quoi la Suisse n’est pas digne d’être libre. Point de liberté chez les hommes sans celle d’expliquer sa pensée.

C.

Et si vous étiez né dans Rome moderne ?

A.

J’aurais dressé un autel à Cicéron et à Tacite, gens de Rome l’ancienne ; je serais monté sur cet autel, et, le chapeau de Brutus sur la tête et son poignard à la main, j’aurais rappelé le peuple aux droits naturels qu’il a perdus ; j’aurais rétabli le tribunat, comme lit Nicolas Rienzi ^

C.

Et vous auriez fini comme lui.

A.

Peut-être : mais je ne puis vous exprimer l’horreur que m’inspira l’esclavage des Romains dans mon dernier voyage ; je frémissais en voyant des récollets au Capitole-. Quatre de mes compatriotes ont frété un vaisseau pour aller dessiner les inutiles

1. Voyez tome XI, page 354.

2. Voyez tome XXIII, page 85 ; et page 85 du présent volume.