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L'A, B. C. 34.J

tyraiinique , oligarchique, aristocratique, démocratique, aiiar- cliique, tliéocratique, diabolique, et les autres qui sont mêlés de tous les précédents?

C.

Oui; chacun fait son roman, parce que nous n'avons point d'histoire véritable. Dites-nous, monsieur A, quel est votre roman ?

A.

Puisque vous le voulez, je m'en vais donc perdre mon temps cl vous parler, et vous le vôtre à m'écouter.

J'imagine d'abord que deux petites peuplades voisines, com- posées chacune d'environ une centaine de familles, sont séparées par un ruisseau, et cultivent un assez bon terrain: car, si elles se sont fixées en cet endroit, c'est que la terre y est fertile.

Comme chaque individu a reçu également de la nature deux bras, deux jambes et une tête, il me paraît impossil^le que les habitants de ce petit canton n'aient pas d'abord été tous égaux. Et, comme ces deux peuplades sont séparées par un ruisseau, il me paraît encore impossible qu'elles n'aient pas été ennemies, car il y aura eu nécessairement quelque différence dans leur manière de prononcer les mêmes mots. Les habitants du midi du ruisseau se seront sûrement moqués de ceux qui sont au nord, et cela ne se pardonne point. Il y aura eu une grande émulation entre les deux villages; quelque fille, quelque femme aura été enlevée. Les jeunes gens se seront battus à coups de poings, de gaules et de pierres, à plusieurs reprises. Les choses étant égales jusque-là de part et d'autre, celui qui passe pour le plus fort et le plus habile du village du nord dit à ses compagnons : Si vous voulez me suivre et faire ce que je vous dirai, je vous rendrai les maîtres du village du midi. Il parle avec tant d'assurance qu'il obtient leurs suffrages. Il leur fait prendre de meilleures armes que n'en a la peuplade opposée. Vous ne vous êtes battus jusqu'à présent qu'en plein jour, leur dit-il; il faut attaquer vos ennemis pendant qu'ils dorment. Cette idée paraît d'un grand génie à la fourmilière du septentrion; elle attaque la fourmilière méridionale dans la nuit, tue quelques habitants dormeurs, en estropie plusieurs (comme firent noblement Ulysse et Rhésus^), enlève les filles et le reste du bétail; après quoi, la bourgade victo- rieuse se querelle nécessairement pour le partage des dépouilles.

��1. Dans le dixième livre de l'Iliade, l'iysisc et Diomède l'ont une expédition nocturne; Rhésus est une de leurs victimes, et non le compagnon d'Ulysse.

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