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queue de serpent ; qu’il est accompagné d’un milliard de farfadets bâtis comme lui, tous descendus du ciel, tous enfermés dans une fournaise souterraine; que Jésus-Christ descendit dans cette fournaise pour enchaîner tous ces animaux; que, depuis ce temps-là, ils sortent tous les jours de leur cachot, qu’ils nous tentent, qu’ils entrent dans notre corps et dans notre âme ; qu’ils sont nos souverains absolus, et qu’ils nous inspirent toute leur perversité diabolique ? De quelle source a pu venir une opinion aussi extravagante, un conte aussi absurde ?

A.

De l’ignorance des médecins.

B.

Je ne m’y attendais pas.

A.

Vous deviez pourtant vous y attendre. Vous savez assez qu’avant Hippocrate, et même depuis lui, les médecins n’entendaient rien aux maladies. D’où venaient l’épilepsie, le haut-mal, par exemple? Des dieux malfaisants, des mauvais génies; aussi l’appelait-on le mal sacre. Les écrouelles étaient dans le même cas. Ces maux étaient l’effet d’un miracle ; il fallait un miracle pour en guérir : on faisait des pèlerinages; on se faisait toucher par les prêtres : cette superstition a fait le tour du monde; elle est encore en vogue parmi la canaille. Dans un voyage à Paris je vis des épileptiques, dans la Sainte-Chapelle et à Saint-Maur, pousser des hurlements et faire des contorsions la nuit du jeudi saint au vendredi; et notre ex-roi Jacques II 1, comme personne sacrée, s’imaginait guérir les écrouelles envoyées par le malin. Toute maladie inconnue était donc autrefois une possession du mauvais génie. Le mélancolique Oreste passa pour être possédé de Mégère, et on l’envoya voler une statue pour obtenir sa guérison. Les Grecs, qui étaient un peuple très-nouveau, tenaient cette superstition des Égyptiens; les prêtres et les prêtresses d’Isis allaient par le monde disant la bonne aventure, et délivraient pour de l’argent les sots qui étaient sous l’empire de Typhon. Ils faisaient leurs exorcismes avec des tambours de basque et des castagnettes. Le misérable peuple juif, nouvellement établi dans ses rochers entre la Phénicie, l’Égjpte, et la Syrie, prit toutes les superstitions de ses voisins, et, dans l’excès de sa brutale ignorance, il y

1. En 1680.