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324 L'A, B, C.

Les anciens corps de milice et les gens de loi ont des privilèges immenses; et quand les sultans ont voulu violer ces privilèges, ils ont tous été étranglés, ou du moins solennellement déposés.

Je n'ai jamais été à la Chine, mais j"ai vu plus de vingt per- sonnes qui ont fait ce voyage, et je crois avoir lu tous les auteurs qui ont parlé de ce pays; je sais, beaucoup plus certainement que Rollin ne savait Tliistoire ancienne; je sais, dis-je, parle rap- port unanime de nos missionnaires de sectes différentes, que la Chine est gouvernée par les lois, et non par une seule volonté arbitraire ; je sais qu'il y a dans Pékin six tribunaux suprêmes auxquels ressortissent quarante-quatre autres tribunaux; je sais que les remontrances faites à l'empereur par ces six tribunaux suprêmes ont force de loi ; je sais qu'on n'exécute pas à mort un portefaix, un charbonnier, aux extrémités de remi)ire, sans avoir envoyé son procès au tribunal suprême de Pékin, qui en rend compte à l'empereur. Est-ce là un gouvernement arbitraire et tyrannique ? L'empereur y est plus révéré que le pape ne l'est à Rome ; mais, pour être respecté, faut-il régner sans le frein des lois ? Une preuve que ce sont les lois qui régnent à la Chine, c'est que le pays est plus peuplé que l'Europe entière ; nous avons porté à la Chine notre sainte religion, et nous n'y avons pas réussi. Nous aurions pu prendre ses lois en échange, mais nous ne sa- vons peut-être pas faire un tel commerce ^

Il est bien sûr que l'évêque de Rome est plus despotique que l'empereur de la Chine, car il est infaillible, et l'empereur chi- nois ne Test pas : cependant cet évêque est encore assujetti à des lois.

\. Montesquieu n'a établi nulle part de distinction entre ce qu'il appelle monar- chie et ce qu'il appelle despotisme: si, dans la monarchie, les corps intermé- diaires ont le droit négatif, elle devient une aristocratie; s'ils ne l'ont pas, il n'y a d'autre diflférence entre les monarchies de l'Europe elles empires de l'Orient que celle des mœurs et des formes légales. Dans tous ces États, il y a des règles géné- rales, des formalités reconnues dont jamais le souverain ne s'écarte. Le conseil du prince y est également supérieur à tous les tribunaux, dont il réforme à son gré les décisions. Le prince y décide également d'une manière arbitraire ce qu'on i^ppeile affaire d'État. Mais, comme il y a plus de lumières en Europe, les tribu- naux y sont mieux réglés, et les lois laissent moins de questions à décider à la volonté particulière des juges. Comme les mœurs y sont plus douces, les conseils des rois européans cherchent à montrer de la modération, et ceux des rois asia- tiques à inspirer la terreur. Enfin une prison dont le tei-me n'est pas fixé est la plus forte peine que les monarques européans imposent de leur volonté seule, tandis que les despotes commandent souvent des exécutions sanglantes. Qu'on examine avec attention tous les gouvernements absolus, on n'y verra d'autres différences que celles qui naissent des lumières, des mœurs, des opinions des dififéreots peuples. ( K.)

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