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CHAPITRE XLIII.


pouvait lire leurs écrits polémiques, ensevelis dans la poussière des bibliothèques, on y verrait continuellement la Sorbonne et les maisons professes des jésuites transférées aux halles.

Les jésuites surtout poussèrent l’impudence aux derniers excès, quand ils furent puissants ; lorsqu’ils n’écrivaient pas des lettres de cachet, ils écrivirent des libelles.

On est obligé d’avouer que ce sont des gens de cet affreux caractère qui ont attiré sur leurs confrères les coups dont ils sont écrasés, et qui ont perdu à jamais un ordre dans lequel il y a eu des hommes respectables. Il faut convenir que ce sont des énergumènes tels que les Patouillet et les Nonotte qui ont enfin soulevé toute la France contre les jésuites. Plus les gens habiles de leur ordre avaient de crédit à la cour, plus les petits pédants de leurs colléges étaient impudents à la ville.

Un de ces malheureux[1] ne s’est pas contenté d’écrire contre tous les parlements du royaume, du style dont Guignard écrivit contre Henri IV : ce fou vient de faire un ouvrage contre presque tous les gens de lettres illustres ; et toujours dans le dessein de venger Dieu, qui pourtant semble un peu abandonner les jésuites. Il intitule sa rapsodie Antiphilosophique : elle l’est bien en effet ; mais il pouvait l’intituler aussi Antihumaine, Antichrétienne.

Croirait-on bien que cet énergumène, à l’article Fanatisme, fait l’éloge de cette fureur diabolique ? Il semble qu’il ait trempé sa plume dans l’encrier de Ravaillac. Du moins Néron ne fit point l’éloge du parricide ; Alexandre VI ne vanta point l’empoisonnement et l’assassinat. Les plus grands fanatiques déguisaient leurs fureurs sous le nom d’un saint enthousiasme, d’un divin zèle ; enfin nous avons confitentem fanaticum.

Le monstre crie sans cesse : Dieu ! Dieu ! Dieu ! Excrément de la nature humaine, dans la bouche de qui le nom de Dieu devient un sacrilége ; vous, qui ne l’attestez que pour l’offenser, et qui vous rendez plus coupable encore par vos calomnies que ridicule par vos absurdités ; vous, le mépris et l’horreur de tous les hommes raisonnables, vous prononcez le nom de Dieu dans tous vos libelles, comme des soldats qui s’enfuient en criant Vive le roi !

Quoi ! c’est au nom de Dieu que vous calomniez ! Vous dites qu’un homme très-connu[2], devant qui vous n’oseriez paraître, a conjuré en secret avec les prêtres d’une célèbre ville[3] pour y éta-

  1. Chaudon, auteur du Dictionnaire antiphilosophique, voyez tome XVII, page IX.
  2. Voltaire lui-même.
  3. Genève.