Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
DE SAMBLANÇAI.


François est empoisonné par Montecuculli, son échanson, non sans soupçon contre l’empereur. »

Il est clair qu’il faut au moins douter du crime de Montecuculli : ni lui ni Charles-Quint n’avaient aucun intérêt à le commettre. Montecuculli attendait de son maître une grande fortune, et l’empereur n’avait rien à craindre d’un jeune homme tel que François. Ce procès funeste peut donc être mis dans la foule des cruautés juridiques que l’ivresse de l’opinion, celle de la passion, et l’ignorance, ont trop souvent déployées contre les hommes les plus innocents.


CHAPITRE XXXVIII.
de samblançai.

Ne peut-on pas mettre dans la même classe le supplice de Samblançai ? Le crime qu’on lui impute est beaucoup plus raisonnable que celui de Montecuculli. Il est bien plus ordinaire de voler le roi que d’empoisonner les dauphins. Cependant aujourd’hui les historiens sensés doutent que Samblançai fût coupable. Il fut jugé par des commissaires : c’est déjà un grand préjugé en sa faveur. La haine que lui portait le chancelier Duprat est encore un préjugé plus fort. On est réduit, lorsqu’on lit les grands procès criminels, à suspendre au moins son jugement entre les condamnés et les juges : témoin les arrêts rendus contre Jacques Cœur, contre Enguerrand de Marigny, et tant d’autres. Comment donc pourrait-on croire aveuglément mille anecdotes rapportées par des historiens, puisqu’on ne peut même en croire des magistrats qui ont examiné les procès pendant des années entières ? On ne peut s’empêcher de faire ici une réflexion sur François Ier. Quel était donc le caractère de ce grand homme qui fait pendre le vieillard innocent Samblançai, qu’il appelait son père ; qui fait écarteler un gentilhomme italien, parce que ses médecins sont des ignorants ; qui dépouille le connétable de Bourbon de ses biens par l’injustice la plus criante ; qui, ayant été vaincu par lui et fait prisonnier, met ses deux enfants en captivité pour aller revoir Paris ; qui jure et promet même, en parole d’honneur, de rendre la Bourgogne à Charles-Quint, son vainqueur, et qui est obligé de se déshonorer par politique ; qui accorde aux Turcs, dans Marseille, la liberté d’exercer leur religion, et qui fait brûler à petit feu, dans la place de l’Estrapade, de malheureux luthériens,