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CHAPITRE XXIX.


lui est utile ; enfin j’y vois le bouclier de la tyrannie contre les peuples qu’elle opprime, et la verge des bons princes quand ils ne sont pas superstitieux. Avec cette idée de votre religion, outre le droit de l’abandonner, je suis dans l’obligation la plus étroite d’y renoncer et de l’avoir en horreur, de plaindre ou de mépriser ceux qui la prêchent, et de vouer à l’exécration publique ceux qui la soutiennent par leurs violences et leurs persécutions. »

Ce morceau est une invective sanglante contre les abus de la religion chrétienne, telle qu’elle a été pratiquée depuis tant de siècles, mais non pas contre la personne de Jésus-Christ, qui a recommandé tout le contraire. Jésus n’a point ordonné la révélation des secrets des familles. Loin de favoriser l’ambition, il l’a anathématisée ; il a dit en termes formels : «[1]Il n’y aura ni premier ni dernier parmi vous ; — le fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. » C’est un mensonge sacrilége de dire que notre Sauveur a autorisé la rapine. Ce n’est pas assurément la prédication de Jésus « qui est une source intarissable de meurtres, de crimes, et d’atrocités commises sous son nom ». Il est visible qu’on a abusé de ces paroles : «[2]Je ne suis point venu apporter la paix, mais le glaive ; » de ces autres passages :

«[3]Que celui qui n’écoute pas l’Église soit comme un païen ou comme un douanier ; —[4]Contrains-les d’entrer. Si quelqu’un vient à moi, et ne hait pas son père et sa mère, et sa femme et ses enfants, et ses frères et ses sœurs, et encore son ami, il ne peut être mon disciple ; » et enfin des paraboles dans lesquelles il est dit que[5] le maître « fit jeter dans les ténèbres extérieures, pieds et mains liés, celui qui n’avait pas la robe nuptiale à un repas ». Ces discours, ces énigmes, sont assez expliqués par toutes les maximes évangéliques qui n’enseignent que la paix et la charité. Ce ne fut même jamais aucun de ces passages qui excita le moindre trouble. Les discordes, les guerres civiles, n’ont commencé que par des disputes sur le dogme. L’amour-propre fait naître l’esprit de parti, et l’esprit de parti fait couler le sang. Si on s’en était tenu à l’esprit de Jésus, le christianisme aurait été toujours en paix. M. de Saint-Hyacinthe a donc tort de reprocher au christianisme ce qu’on ne doit reprocher qu’à plusieurs chrétiens.

  1. Matth., ch. XX, v. 27 et 28. (Note de Voltaire.)
  2. Matth., ch. X, v. 34. (Id.)
  3. Ibid., ch. XVIII, v. 17. (Id.)
  4. Luc, ch. XIV, v. 23 et 26. (Id.)
  5. Matth., ch. xxii, v. 12 et 13. (Id.)