Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
DIFFICULTÉS SUR LA DONATION DE PEPIN.


l’Italie, « parce que, dit-il, ils avaient soulevé les peuples contre Dieu[1] ».

Et comment les empereurs, s’il vous plaît, avaient-ils soulevé les peuples contre Dieu ? En voulant qu’on adorât Dieu seul, et non pas des images, selon l’usage des trois premiers siècles de la primitive Église. Il est assez avéré que, dans les trois premiers siècles de cette primitive Église, il était défendu de placer des images, d’élever des autels, de porter des chasubles et des surplis, de brûler de l’encens dans les assemblées chrétiennes ; et dans le viie, c’était une impiété de n’avoir pas d’images. C’est ainsi que tout est variation dans l’État et dans l’Église.

Mais, quand même les empereurs grecs auraient été des impies, était-il bien juste et bien religieux à un pape de se faire donner le patrimoine de ses maîtres par un homme venu d’Austrasie ?

Le cardinal Bellarmin suppose bien pis. « Les premiers chrétiens, dit-il, ne supportaient les empereurs que parce qu’ils n’étaient pas les plus forts[2] ; » et, ce qui peut paraître encore plus étrange, c’est que Bellarmin ne fait que suivre l’opinion de saint Thomas. Sur ce fondement, l’Italien qui veut absolument donner aujourd’hui Parme et Plaisance au pape[3] ajoute ces mots singuliers : « Quoique Pepin n’eût pas le domaine de l’exarchat, il pouvait en priver ceux qui le possédaient, et le transférer à l’apôtre saint Pierre, et par lui au pape, »

Ce que ce brave Italien ajoute encore à toutes ces grandes maximes n’est pas moins curieux : « Cet acte, dit-il, ne fut pas seulement une simple donation, ce fut une restitution ; » et il prétend que dans l’acte original, qu’on n’a jamais vu, Pepin s’était servi du mot restitution ; c’est ce que Baronius avait déjà affirmé. Et comment restituait-on au pape l’exarchat de Ravenne ? « C’est, selon eux, que le pape avait succédé de plein droit aux empereurs, à cause de leur hérésie. »

Si la chose est ainsi, il ne faut plus jamais parler de la donation de Pepin ; il faut seulement plaindre ce prince de n’avoir rendu au pape qu’une très-petite partie de ses États. Il devait assurément lui donner toute l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Espagne, et même, en cas de besoin, tout l’empire d’Orient.

Poursuivons : la matière paraît intéressante ; c’est dommage que nos historiens n’aient rien dit de tout cela.

  1. Page 120 de la seconde partie de la Dissertation historique sur les duchés de Parme et de Plaisance. (Note de Voltaire.)
  2. De rom. Pont., lib. XV, cap. vii. (Id.)
  3. Clément XIII.