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DE LA REINE BRUNEHAUT.


On ne doit pas être plus crédule pour l’aventure de Florinde, dont le joyau fut fendu en deux par le marteau du roi visigoth d’Espagne don Roderic, que pour le viol de Lucrèce, qui embellit l’histoire romaine.

Rangeons tous les contes de Grégoire de Tours avec ceux d’Hérodote et des Mille et une Nuits. Envoyons les trois cent soixante mille Sarrasins que tua Charles Martel, et qui mirent ensuite le siége devant Narbonne, aux trois cent mille Sybarites tués par cent mille Crotoniates, dans un pays qui peut à peine nourrir trente mille âmes.


CHAPITRE XIX.
de la reine brunehaut.

Les temps de la reine Brunehaut ne méritent guère qu’on s’en souvienne ; mais le supplice prétendu de cette reine est si étrange qu’il faut l’examiner.

Il n’est pas hors de vraisemblance que, dans un siècle aussi barbare, une armée composée de brigands ait poussé l’atrocité de ses fureurs jusqu’à massacrer une reine âgée de soixante et seize ans, ait insulté à son corps sanglant, et l’ait traîné avec ignominie. Nous touchons au temps où les deux illustres frères de Witt furent mis en pièces par la populace hollandaise, qui leur arracha le cœur, et qui fut assez dénaturée pour en faire un repas abominable. Nous savons que la populace parisienne traita ainsi le maréchal d’Ancre. Nous savons qu’elle voulut violer la cendre du grand Colbert.

Telles ont été, chez les chrétiens septentrionaux, les barbaries de la lie du peuple. C’est ainsi qu’à la journée de la Saint-Barthélemy on traîna le corps mort du célèbre Ramus dans les rues, en le fouettant à la porte de tous les colléges de l’Université, Ces horreurs furent inconnues aux Romains et aux Grecs ; dans la plus grande fermentation de leurs guerres civiles, ils respectaient du moins les morts.

Il n’est que trop vrai que Clovis et ses enfants ont été des monstres de cruauté ; mais que Clotaire II ait condamné solennellement la reine Brunehaut à un supplice aussi inouï, aussi recherché que celui dont on dit qu’elle mourut, c’est ce qu’il est difficile de persuader à un lecteur attentif qui pèse les vraisemblances, et qui, en puisant dans les sources, examine si ces