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DES ÉCRIVAINS DE PARTI.


Les Romains ont décrié la foi carthaginoise ; les Carthaginois ne se louaient pas de la foi romaine. Il faudrait lire les archives de la famille d’Annibal pour juger. Je voudrais avoir jusqu’aux mémoires de Caïphe et de Pilate. Je voudrais avoir ceux de la cour de Pharaon : nous verrions comment elle se défendait d’avoir ordonné à toutes les accoucheuses égyptiennes de noyer tous les petits mâles hébreux, et à quoi servait cet ordre pour des Juifs, qui n’employaient jamais que des sages-femmes juives.

Je voudrais avoir les pièces originales du premier schisme des papes de Rome entre Novatien et Corneille, de leurs intrigues, de leurs calomnies, de l’argent donné de part et d’autre, et surtout des emportements de leurs dévotes.

C’est un plaisir de lire les livres des whigs et des torys. Écoutez les whigs : les torys ont trahi l’Angleterre ; écoutez les torys : tout whig a sacrifié l’État à ses intérêts. De sorte qu’à en croire les deux partis, il n’y a pas un seul honnête homme dans la nation.

C’était bien pis du temps de la rose rouge et de la rose blanche. M. de Walpole a dit un grand mot dans la préface de ses Doutes historiques sur Richard III : « Quand un roi heureux est jugé, tous les historiens servent de témoins[1]. »

Henri VII, dur et avare, fut vainqueur de Richard III. Aussitôt toutes les plumes qu’on commençait à tailler en Angleterre peignent Richard III comme un monstre pour la figure et pour l’âme. Il avait une épaule un peu plus haute que l’autre, et d’ailleurs il était assez joli, comme ses portraits le témoignent ; on en fait un vilain bossu, et on lui donne un visage affreux. Il a fait des actions cruelles ; on le charge de tous les crimes, de ceux mêmes qui auraient été visiblement contre ses intérêts.

La même chose est arrivée à Pierre de Castille, surnommé le Cruel. Six bâtards de feu son père excitent contre lui une guerre civile, et veulent le détrôner. Notre Charles le Sage se joint à eux, et envoie contre lui son Bertrand du Guesclin. Pierre, à l’aide du fameux prince Noir, bat les bâtards et les Français, Bertrand est fait prisonnier, un des bâtards est puni : Pierre est alors un grand homme.

La fortune change ; le grand prince Noir ne donne plus de secours au roi Pierre. Un des bâtards ramène du Guesclin, suivi

  1. Cet écrit venait de paraître, et Voltaire venait de le lire quand fut composé le Pyrrhonisme de l’Histoire. Voyez, dans la Correspondance, la lettre à H. Walpole, 15 juillet 1768.