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CHAPITRE XVII.


bientôt des centaines. En un mot, des historiens contemporains n’ont pas manqué de répéter ces mensonges ; et, sans l’auteur du Siècle de Louis XIV, ils seraient encore aujourd’hui accrédités dans l’Europe.

On a écrit que Jeanne de Navarre, femme de Philippe le Bel, fondatrice du collége de Navarre, admettait dans son lit les écoliers les plus beaux, et les faisait jeter ensuite dans la rivière avec une pierre au cou. Le public aime passionnément ces contes, et les historiens le servaient selon son goût. Les uns tirent de leur imagination les anecdotes qui pourront plaire, c’est-à-dire les plus scandaleuses ; les autres, de meilleure foi, ramassent des contes qui ont passé de bouche en bouche : ils pensent tenir de la première main les secrets de l’État, et ne font nulle difficulté de décrier un prince et un général d’armée pour gagner dix pistoles. C’est ainsi qu’en ont usé Gatien de Courtilz, Le Noble, la Dunoyer, La Beaumelle, et cent malheureux correcteurs d’imprimerie réfugiés en Hollande.

Si les hommes étaient raisonnables, ils ne voudraient d’histoires que celles qui mettraient les droits des peuples sous leurs yeux, les lois suivant lesquelles chaque père de famille peut disposer de son bien, les événements qui intéressent toute une nation, les traités qui les lient aux nations voisines, les progrès des arts utiles, les abus qui exposent continuellement le grand nombre à la tyrannie du petit : mais cette manière d’écrire l’histoire est aussi difficile que dangereuse. Ce serait une étude pour le lecteur, et non un délassement. Le public aime mieux des fables : on lui en donne.


CHAPITRE XVII.
des écrivains de parti.

Audi alteram partem est la loi de tout lecteur quand il lit l’histoire des princes qui se sont disputé une couronne, ou des communions qui se sont réciproquement anathématisées.

Si la faction de la Ligue avait prévalu, Henri IV ne serait connu aujourd’hui que comme un petit prince de Béarn, débauché, et excommunié par les papes.

Si Arius l’avait emporté sur Athanase au concile de Nicée, si Constantin avait pris son parti, Athanase ne passerait aujourd’hui que pour un novateur, un hérétique, un homme d’un zèle outré, qui attribuait à Jésus ce qui ne lui appartenait pas.